Deux de la Vague

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Deux de la Vague raconte à travers l’amitié puis la rupture de Jean-Luc Godard et François Truffaut , l’histoire de la Nouvelle Vague qui a bouleversé le septième art. Passionnant.

"Ah la vie est peut-être triste mais elle est toujours belle". Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le Fou.

Raconter la Nouvelle Vague par le prisme de l’amitié qui liait Godard et Truffaut, tel est le défi dans lequel se sont lancés Emmanuel Laurent et Antoine de Baecque avec ce documentaire Deux de la Vague. Force est de constater qu’ils l’ont parfaitement relevé. Avec cet angle choisi, l’évocation de la relation quasi-fraternelle de deux cinéastes français parmi les plus considérables, les documentaristes parviennent à relater l’histoire d’une génération entière de metteurs en scène qui ont bouleversé, à l’égal des Impressionnistes dans le domaine de la peinture, l’histoire du cinéma et, par-delà, réussissent à nous offrir une plongée dans les années soixante et à restituer l’effervescence et la richesse de la vie intellectuelle de ces années là. Ainsi, les autres membres de la Vague ont été délibérément écartés pour laisser la place au seul couple Godard/Truffant ainsi qu’à leur fils de cinéma Jean Pierre Léaud. Aussi chaque scène ou presque composée par Laurent et Baecque tourne autour de ce triptyque.

De bout en bout, le film est passionnant. Passionnant et instructif grâce à un montage d’archives magnifiques, d’extraits de films qui surgissent à chaque fois pour nous donner un bref mais intense moment d’enchantement, mais aussi à la faveur de la voix-off qui commente et explique. C’est le montage de « vraies » archives – qu’elles soient visuelles ou manuscrites (une page des Cahiers du Cinéma par exemple) – introuvables sur Google (dixit Emmanuel Laurent), qui va constituer un récit, une histoire. Nous sommes surpris et captivés à la fois par l’interview d’un Jean-Luc Godard hilare à bord d’une voiture dans la lumière bleutée d’un soir parisien, ou amusés et fascinés par deux séquences mises en parallèles. D’abord lorsque Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le Fou (1965) accompagné d’Anna Karina plonge sa belle Américaine dans la mer. Puis répond à cet extrait une scène de Jules et Jim (1961) dans laquelle Jeanne Moreau précipite son auto et Jim dans une rivière. Le clin d’œil est amusant, magnifique raccourci pour définir ce lien d’amitié et de complicité très fort qui unissait les deux hommes à l’époque du tournage de ces deux chefs-d’œuvres lesquels, par ailleurs, occupent une place prépondérante dans la carrière de nos héros.


 

Mais pourquoi la chronique de cette grande amitié et de la rupture qui s’en suivit ? Parce que c’est une histoire universelle, explique Antoine de Baeque, que chacun peut s’y retrouver. Cette histoire est aussi exemplaire car elle fût synonyme d’entraide et de solidarité fraternelle entre les deux jeunes hommes prometteurs, venant de milieux très differents. C’est ainsi que François offre à Jean-Luc le scénario d’A bout de souffle (1959). Mais aussi, l’intérêt de l’histoire de cette fraternité réside – au moins dans une perspective cinéphilique, dans la rupture des deux hommes en 1973 car celle-ci a induit une fracture dans le cinéma français, chacun, d’une certaine manière, devant se positionner : « plutôt Truffant ou plutôt Godard ? plutôt Matisse ou plutôt Picasso ? » Pour un cinéma marqué par la radicalité politique, celui de Jean-Luc Godard (parti pris très affirmé à partir de 1968) ou au contraire pour le respect d’un certain classicisme, de la dramaturgie, du devoir de raconter une histoire plus belle que la vie, qui toujours fût la voie pratiquée par François Truffaut. Enfin, ces deux-là sont exemplaires aussi pour leur indépendance de cinéaste, deux « purs » en somme, exigeants, qui ne pouvaient supporter de compromis ni dans le cinéma ni dans leur amitié. D’où cette rupture fracassante et définitive, puisqu’ils ne se reverront jamais.

Nous connaissions cette brouille, mais le documentaire en rappelle la violence avec notamment la lecture de certaines lettres échangées entre les deux hommes. Passons sur les éloges du temps de l’amour ou les tourtereaux s’ensevelissent l’un l’autre de compliments sur leur travail, pour découvrir les amabilités de la séparation. En vrac : Godard à Truffaut (fin mai 1973) : « …Tu dis : les films sont de grands trains dans la nuit, mais qui prend le train, dans quelle classe, et qui le conduit avec le « mouchard » de la direction à ses côtés ? » Truffant à Godard (juin 1973) : « …L’idée que les hommes sont égaux est théorique chez toi, elle n’est pas ressentie. Il te faut jouer un rôle et que ce rôle soit prestigieux…»

Les grandes passions finissent mal en général.

Titre original : Deux de la vague

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Durée : 90 mn


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