Des figues en avril

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Avec ce documentaire sur sa mère, Nadir Dendoune nous offre un beau portrait de femme universel et bouleversant.

Les figues d’Australie

Déjà le titre nous met l’eau à la bouche, surtout que le film commence par un magnifique plan sur la mère du réalisateur qui feuillette des photos. Elle se met alors à parler de son voyage en Australie où elle avait pu manger ses fruits préférés, les figues de Barbarie, en avril vu le décalage saisonnier. Ainsi commence ce portrait d’une mère, Messaouda Dendoune, celle du jeune réalisateur et qu’il filme souvent avec son téléphone portable lorsqu’il vient prendre le café avec elle le matin. On voit cette femme magnifique de 82 ans dans son quotidien, dans son petit appartement de banlieue, où elle s’applique malgré son âge et la mélancolie aux tâches ménagères, la télé qui s’invite par le biais de l’émission « Les douze coups de midi » remerciée au générique. Elle se sent bien seule depuis que son mari, un peu plus âgé qu’elle, a été placé en EPHAD contre sa volonté, parce qu’il était tombé et perdait la mémoire. Mais Messaouda est une femme digne, qui conserve sa droiture et son intégrité. Elle lui rend visite tous les jours car, dit-elle, elle ne peut pas se passer de « son homme » et ne lui dira jamais qu’il n’est plus à la maison. Pour elle, c’est une trahison, de par ses traditions, de se séparer d’un membre de la famille.

 

 

Une Kabyle des montagnes

Ce qui est très intéressant avec ce film réalisé à partir d’une dizaine d’heures de rushs et montés par Stéphanie Molez, c’est qu’il nous présente bien sûr Messaouda Dendoune, « Kabyle des montagnes » comme elle aime à se définir, mais elle devient vite universelle. C’est la maman mythique, la mère nourricière, celle qui nous berce et nous donne la force de vivre. Messaouda force l’admiration surtout lorsqu’elle fait preuve de plus de sagesse que les plus grands savants, elle qui ne sait ni lire ni écrire, mais qui regrette la dureté du monde, la précipitation avec laquelle les gens vivent de nos jours. Elle prie devant sa télé pour que les pauvres et les étudiants puissent gagner un peu d’argent dans son émission de jeux favorite. Chacun retrouvera un peu sa propre maman dans ce portrait magnifique, bien mis en images, tendre et digne. D’ailleurs le plan final, lorsqu’elle est au lit devant son téléviseur qui murmure et bleuit la lumière de la scène, avec le petit nounours en peluche qui protège la maison vide, elle fait penser à Anna Magnani dans Fellini-Roma puisqu’elle a presque les mêmes mots qu’elle, face au réalisateur qu’elle regarde un peu de biais et qui commence à l’agacer, comme une mère aimante, la louve romaine : Va dormir maintenant !

Un regard de mère sur le monde

Cette universalité, et cette tendresse, le réalisateur Nadir Dendoune à la triple nationalité (algérienne, française et australienne), est connu du monde entier mais son film est un message d’amour très simple et puissant à la fois. « Après que mon papa eut été placé dans un Ephad (maison médicalisée), j’ai senti que ma mère, en plus d’être triste de voir partir celui avec qui elle avait vécu 63 ans, avait aussi besoin de parler. Elle me disait des choses qu’elle n’avait jamais dites auparavant. Des choses très profondes. Sur elle, sur nous, sur l’exil, la vieillesse, la solitude, la maladie… Stéphanie, celle qui a monté le film, a fini de me convaincre qu’il fallait mettre à l’écran ce témoignage rare. Et je ne l’en remercierai jamais assez. Ma mère, je la filme avec mon téléphone depuis plusieurs années : elle a l’habitude. Je crois que ce film lui fait du bien. Après les quelques projections de ce documentaire, les gens sont venus lui ont dit merci. » dit le cinéaste dans le dossier de presse. Merci aussi à lui de nous offrir ce beau documentaire d’une heure environ qui donne envie de mieux comprendre sa mère et de l’aimer. Nadir Dendoune est l’auteur de Journal de guerre d’un pacifiste, de Lettre ouverte à un fils d’immigré, Un tocard sur le toit du monde et Nos rêves de Pauvres (2017). Le 25 mai 2008, il atteint le sommet de l’Everest, devenant ainsi le premier Franco-Algérien à atteindre le toit du monde. Son exploit a inspiré le film L’Ascension de Ludovic Bernard en 2017 avec Ahmed Sylla.

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Durée : 58 mn


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