Danse avec les loups (Dances with Wolves – Kevin Costner, 1990)

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Un western rempli de bonnes intentions qui confine parfois à la naïveté.

"Ce film est la lettre d’amour que j’adresse aux Indiens. On les a exterminés, on a détruit leur culture pour posséder leur terre. J’ai aussi voulu montrer qu’ils ont toujours su vivre en harmonie avec la nature". Voilà une tache bien ambitieuse pour une première réalisation dont la version longue (dont il sera question ici) ne dure pas moins de 3h45.

Un projet anachronique

La preuve, les obstacles surviennent dès la pré-production. Non pas parce que le film dénonce l’extermination des Indiens, mais bien plutôt parce qu’il s’agit d’un western, et qu’aux yeux des grands studios, le genre est mort avec le naufrage de La Porte du paradis (1970) de Michael Cimino qui a traumatisé tout Hollywood. Cette adaptation d’un livre de Michael Blake qui raconte l’histoire de John Dunbar, lieutenant nordiste devenu Danse avec les loups en vivant avec les Sioux, semble anachronique dans les années 80/90. Le film est bientôt surnommé « La Porte de Kevin » et son budget s’élève finalement à 15 millions que Costner devra compléter avec ses fonds propres. Le scénario est envoyé à trois cinéastes (dont les noms sont inconnus) qui veulent chacun y apporter des modifications. Costner les rejette, il réalisera donc lui-même le film – aidé par Kevin Reynolds – dans une démarche qui vise la plus grande authenticité possible : le tournage se déroule principalement dans le Dakota, les costumes sont taillés dans des peaux de bison ou de daim et une annonce est diffusée dans un journal lu par les Indiens d’Amérique.

La directrice de casting – elle-même d’origine Sioux – retiendra 400 personnes (comédiens et figurants) venant de diverses tribus. Parmi elles, l’on trouve Graham Greene vu récemment dans Wind River (Taylor Sheridan, 2017), ainsi que Wes Studi à l’écran cette année dans Hostiles (Scott Cooper, 2018). Tous doivent prendre des cours de Lakota – l’un des principaux dialectes chez les Sioux – avec Doris Leader Charge, originaire de la réserve Rosebud dans le Dakota du Sud. Mais que donnent, concrétisée à l’écran, cette volonté de réhabilitation des Indiens et de quasi véracité historique ?
 

Un chevalier des temps modernes

Le film s’ouvre sur un homme blessé, allongé sur une table, deux médecins – sans visage – à ses pieds qui, dans leur tablier sanglant, ressemblent plus à des bouchers qu’autre chose. La caméra adopte le point de vue de l’homme menacé d’amputation, plaçant de fait le spectateur du côté du héros. L’homme se relève, renfile ses bottes et repart au front. Il y apparaît dans la lumière, en contre-plongée, à un soldat endormi qui le reconnaît sans trop y croire avant de se lancer à cheval dans une mission suicide, les bras en croix. Un acte qui permet aux nordistes de remporter la bataille et à Dunbar d’accéder au statut de héros. Quitte à être à la fois producteur, réalisateur et acteur principal, autant se donner le beau rôle et Costner ne s’en prive pas, qui s’offre on le voit des plans quasi christiques. Le personnage se définira souvent contre les autres personnages : contre le major cynique il apparaît en vrai « chevalier » ; contre son compagnon de voyage vers sa nouvelle garnison, sorte de Sancho vulgaire, il passe pour un véritable héros romantique. Quant aux Indiens, ils sont pour l’instant au mieux un concept, au pire une menace invisible. Dunbar veut voir la frontière « avant qu’elle n’existe plus », exprimant ainsi l’idéal de conquête américain – et donc l’éradication des Indiens décrits comme « voleurs et mendiants » – avant d’observer dans les grandes plaines des squelettes d’humains et de diligence criblés de flèches.

Arrivé sur les lieux de sa nouvelle affectation, Fort Sedgewik, laissés à l’abandon par ses derniers occupants, le lieutenant tient un journal de bord où il consigne ses impressions. « Le pays est tel que je le rêvais ». Et en effet, Dunbar semble vivre un rêve rousseauiste. Seul au contact de la nature, il s’approprie son lieu de vie à mesure qu’il le nettoie et commence à apprivoiser un loup qu’il nomme Chaussettes. Son expérience a tout du retour aux sources idéaliste, du fantasme des grands espaces sauvages face auxquels les gens se révèleraient à eux-mêmes qui a vite labellisé Danse avec les loups film « écologique » : une vision romantique de l’Ouest, qui coïncide avec une vision quelque peu romantique des tribus indiennes.
 

Prime aux bons sentiments

Le premier contact avec celui que Dunbar appelle encore « un sauvage » est traité de manière quasi burlesque : un Sioux – le sorcier Oiseau Bondissant – inspecte le campement du soldat quand celui-ci surgit, tout nu. Le premier s’enfuit quand le deuxième commence à fortifier et armer la place : la peur de l’inconnu et l’incompréhension sont des deux côtés. Le retour d’Oiseau Bondissant auprès de sa tribu est l’occasion pour Costner de « banaliser » ces Indiens autrefois diabolisés ; les parents jouent avec leurs enfants, les maris se querellent avec leurs femmes, bref ils sont comme tout le monde. Et leur vision des blancs est sans surprise bien négative, ce sont des « crétins » d’une « piètre race ». La véritable rencontre entre eux et lui se fera par l’intermédiaire de Dressée avec le poing, femme blanche élevée par les Sioux après le massacre de sa famille par les Pawnees – autrement dit l’inverse d’une captive comme dans La prisonnière du désert (John Ford, 1956). Dunbar la trouve blessée au pied d’un arbre et la ramène chez les siens, alors qu’elle saigne en réalité de blessures rituelles infligées en signe de deuil – ce que le film explicite peu. A partir de ce moment, la découverte réciproque commence.
 

La tribu indienne correspond à l’image que l’on peut en avoir vue de notre culture occidentale, divisée en figures reconnaissables telles le Chef, le Sorcier, le Guerrier etc. dansant autour du feu au cours de cérémonies sacrées. Et quand ils font la guerre aux Pawnees, c’est qu’ils y sont obligés pour protéger la vie de leurs familles et leurs provisions, contrairement aux Blancs qui « prennent sans demander »…ce qui n’est pas exact car les Sioux était un peuple belliqueux cherchant à étendre son territoire en chassant les tribus adverses, les Pawnees notamment. En gommant cet aspect, peut-être perçu comme contre-productif, Costner tombe dans une vision idyllique proche de celle dite du bon sauvage. A mesure que Dunbar s’intègre – en apprenant la langue, en allant chasser le bison – la réhabilitation s’accomplit : « Ce ne sont ni des mendiants, ni des voleurs, ni des ogres ». Au contraire, ils sont « voués au culte de la famille et à celui de l’amitié ». De vrais Américains en somme. Leur sagesse leur permet de vivre en harmonie avec la nature et de fait, quand Dunbar devient Danse avec les loups, le voilà qui nourrit Chaussettes à la main. Une transformation qui peut être vue au mieux comme initiatique – « Je suis qui j’étais pour la première fois » dit-il – au pire naïve. Le lieutenant nordiste est désormais un Sioux marié à Dressée avec le poing, une histoire d’amour finalement bien conventionnelle puisque comme le dit Châle Noir « ils sont de la même race ».
 

Le spectateur qui partage le point de vue du héros depuis le premier plan voit maintenant les Blancs depuis l’autre côté : des envahisseurs irrespectueux qui s’installent sur des terres sacrées, des hommes vulgaires venus briser l’harmonie (il faut dire que les soldats qui ont repris Fort Sedgewik ne sont pas gâtés). La mort de Cisco, le cheval de Danse avec les loups, et de Chaussettes disent la violence gratuite et préfigurent quelque part l’extermination des peuples indiens.L’obstacle est contourné et résumé par un carton évoquant les foyers détruits et la disparition de la frontière américaine.

Le film remportera sept Oscars, dont celui du meilleur film, et rapportera 424 millions de dollars dans le monde. Kevin Costner, lui, sera fait citoyen d’honneur de la nation Sioux.

Titre original : Dances with Wolves

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Durée : 232 mn


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