Une double détente
Une femme supplie un zombie de ne pas la mordre, car elle l’aime… Il la mord, Higurashi (Romain Duris), le réalisateur, coupe et fait passer un sale quart d’heure à ses acteurs, car ils jouent mal la comédie… avant que les zombies n’attaquent pour de bon cette petite équipe de tournage caucasienne aux noms japonais. C’est ainsi que débute Coupez !, dernier-né de l’écurie Hazanavicius, dont le titre a été modifié pour cause de guerre en Ukraine (l’original étant Z, soit le signe de ralliement de l’armée russe) et qui s’inspire en partie du film japonais Ne coupez pas ! Fonctionnant sur le principe d’une mise en abîme auto-réflexive, le film tire sa force d’une judicieuse segmentation en trois parties disposant chacune de leur propre dynamique narrative, ce qui permet à l’œuvre d’aborder des formes d’humour variées. Le premier tiers du film se situe ainsi dans le classique pastiche humoristique si cher à Hazanavicius, dans la veine de ses OSS 117. Nous y suivons la petite équipe de films de série Z (soit un type de production encore plus cheap que la série B) qui finit véritablement par se faire attaquer par des zombies. La seconde partie de Coupez ! est un flash-back montrant la manière dont tout cela a commencé et comment s’est organisé le tournage de la séquence d’ouverture qui, en réalité, n’est pas un pastiche de film Z par Hazanavicius, mais un film mis en scène par Rémi (alias Higurashi). Et l’on suit ainsi les pérégrinations de notre réalisateur tentant d’organiser, tant bien que mal, le tournage de cette histoire d’équipe de cinéma attaquée par des zombies alors qu’elle tourne un film de zombie (projet qu’il accepte pour se revaloriser aux yeux de sa fille, fan de l’acteur principal). Le thème de ce segment n’étant plus tant le pastiche que la satire du milieu de la production audiovisuelle. La partie finale de Coupez ! consiste enfin en un retour sur le tournage de la séquence initiale, mais observée cette fois-ci du point de vue de ses coulisses. Cette dernière possède un humour plus subtil, car elle consiste à faire rire une seconde fois le spectateur d’une même séquence, grâce au changement de perspective, tout en mettant en scène la manière dont l’imaginaire se nourrit du réel : une part des événements de cette séquence initiale se révélant en réalité « improvisée » et nourrie par la vie des personnages durant le tournage. Son articulation en flash-back permet ainsi à Coupez ! de générer un véritable suspense, le spectateur devenant curieux de découvrir la réalité cachée derrière ce qu’il prenait pour une évidence. Et parce que l’ensemble du film est, dans un même temps, ponctué de traits d’humours et de bons mots homogénéisant le récit, malgré sa segmentation, il dispose d’une unité d’ensemble et d’un rythme stable, ce qui lui permet d’éviter de devenir un film à sketchs.
Synergie et fausse note
Concernant l’esthétique, sa structure autorise Coupez ! à une intéressante variabilité. Les trente premières minutes de pastiches, filmées dans un beau plan séquence, relèvent d’un maniérisme foisonnant de références cinéphiliques, allant du type de zombies employé, dont la lenteur évoque le cinéma de Romero, aux multiples couleurs primaires présentes dans les décors évoquant, elles, le cinéma baroque d’Argento. Les deux autres parties du film sont, quant à elles, plus classiques, posées et sobres, ce qui leur permet de laisser une place conséquente aux développements des relations entre les personnages. La plupart, caricaturaux à l’ouverture, s’étoffe et prend une belle dimension humaine à mesure que l’intrigue de la seconde partie se déploie. De Romain Duris, l’allumé réalisateur de la première partie qui devient un être faible dans la partie deux, à Bérénice Béjot, qui passe de maquilleuse psychopathe à mère de famille inquiète, jusqu’à l’ensemble de la troupe gravitant autour du couple. Les acteurs offrent ainsi une forme de double prestation permettant à la seconde vision de la séquence initiale, durant la troisième partie, d’avoir du souffle et de pleinement fonctionner. Ce qui permet, dans un même temps, de donner de l’ampleur à l’histoire de Coupez !, qui ne se contente pas d’être une cynique caricature d’un genre ou d’un milieu. En l’occurrence, Hazanavicius cherche à montrer, au travers de la mise en scène périlleuse de Rémi, la conviction nécessaire et utile à la création d’un film. Le grand final de la dernière séquence mettant en image, symboliquement, comme un hommage, toute la synergie humaine nécessaire pour faire parvenir une œuvre à bon port, aussi bancale soit-elle. En revanche, et c’était déjà un souci présent dans le Redoutable, certains pics que se permet Hazanavicius à l’encontre du cinéma des autres, à commencer par celui de Tarantino (semblant critiquer son maniérisme) sont maladroits, car justement placés dans un film qui fonctionne sur la base de la référence au cinéma de genre. En résulte l’impression que le réalisateur semble s’octroyer le droit de faire ce qu’il critique chez les autres. Cette véritable fausse note étant d’autant plus visible que son film est une réussite stylistique comme scénaristique. Mais ce souci est mineur, car au final Coupez ! est un très bon film, pourvue d’un véritable enjeu esthétique, d’où découle justement la subtilité de l’humour. Ce qui est, il faut bien le dire, plutôt rare pour les comédies françaises par les temps qui courent. Plus intelligent que le Redoutable (dont la première des qualités résidait en Louis Garrel), mais aussi plus subtil que les deux très bons OSS 117, Coupez ! est une belle pièce dans la filmographie de son auteur et, surtout, un bon moment d’éclat de rire à passer en salle.