Conversation avec Cécile Vargaftig, membre du Club des 13

Article écrit par

Cécile Vargaftig revient sur l’état du cinéma français à l’occasion de la publication du Rapport du CLub des 13, « Le milieu n’est plus un pont, mais une faille » (ED.Stock)

Réalisé le Mardi 13 Mai 2008 par Nadia Nasr et Clémence Imbert
Remerciements : Cécile Vargaftig

Le rapport du Club des 13, «Le milieu n’est plus un pont mais une faille»*, cartographie l’état de tous les maillons du système de création d’un film. Sous la conduite de Pascale Ferran, ce rapport exhaustif et didactique met en exergue les inquiétudes et difficultés subies par les professionnels soucieux de défendre un cinéma ambitieux et populaire, héritage de la culture française.

Ecrivain (elle est l’auteur de trois romans), Cécile Vargaftig est scénariste pour le cinéma depuis sa sortie de la Femis en 1989. Elle a co-signé plusieurs long-métrages, parmi lesquels Le Ciel De Paris de Michel Béna (1991), Le Lait De La Tendresse Humaine de Dominique, Cabrera (2000) ou encore Stormy Weather de Solveig Anspach (2003), autant de films de jeunes auteurs français qui incarnent tout à fait le « milieu » que défend le Club des 13 auquel elle a participé dès le début.
Le Club des 13 et son Rapport* sont quelques uns des sujets qu’elle a accepté d’aborder avec nous lors d’une interview où la qualité le mêlait à la sincérité.

Le milieu n’est plus un pont mais une faille» Ed. Stock.  Disponible en librairie.


La conception du Club des 13

Avant d’éclaircir les problèmes du cinéma français, pouvez vous présenter et rappeler le concept du Club des 13?

En fait, c’est Pascale Ferran qui a eu l’idée de ce groupe – ne sachant évidemment pas qu’on allait être 13. Au moment des Césars où elle a fait son discours, elle a ressenti un profond changement dans la façon de faire les films, de les sortir et de travailler dans le cinéma. C’était très différent de ce qu’elle avait connu 10 ans plus tôt avec Petits arrangements avec les morts. Ainsi, elle a voulu qu’on se retrouve à plusieurs, chacun à son maillon de la chaîne de fabrication, des auteurs aux exploitants, et qu’on mette tout à plat. C’est vraiment elle qui a eu cette idée de la transversalité du groupe.

Comment êtes-vous arrivée à intégrer ce groupe des 13 ?

Pascale Ferran a fait appel aux gens qu’elle connaissait. Personnellement, je l’avais rencontrée pendant la lutte des intermittents, en 2003 ; on s’était bien entendues entre autres sur des bases politiques. Elle m’a proposé de faire partie du groupe et j’ai accepté avec plaisir. Le groupe s’est construit sur quelque chose entre le hasard, les affinités et les disponibilités de chacun, et quand on a été 13, on a trouvé que cela suffisait. Il n’y avait aucun souci de représentativité ou de légitimité de notre part dans la mesure où appartenir au groupe ne signifiait pas représenter nos collègues. On a travaillé dans une ambiance de grande sincérité, disponibilité et aussi dans un talent d’écoute.

Quelle fut votre démarche pour rendre un dossier aussi complet?

 

Il y a eu plusieurs phases. Cette première phase a duré très longtemps ( écoute de témoignage) : du mois de février au mois de juin, à hauteur de deux ou trois réunions par mois, on a pu remonter toute la chaîne de fabrication des films. Ensuite on a décidé d’écrire le rapport  de synthèse. J’ai fait le premier jet de l’écriture, où on synthétisait ce qui avait été dit, et Pascale (Ferran) l’a repris, Jacques Audiard aussi. En réalité, tout le monde a participé, même si Pascale a été la maître d’oeuvre du texte, pour qu’il ait une cohérence stylistique.


Selon vous, fallait-il un document écrit pour révéler au grand jour les difficultés et inquiétudes existantes ?

Le rapport, le texte écrit que vous avez est vraiment le deuxième temps du travail. Pour nous ce qui était le plus important c’était de se parler parce que, dans le travail, parfois ça se passe bien, parfois il y a des conflits ; mais on n’a jamais le temps vraiment de se parler, ni de s’écouter parler de son expérience. Donc c’était assez formidable déjà de se parler, de s’écouter – c’est pourquoi à 13 c’était bien. Et donc là, on était sortis des situations professionnelles qu’on vit tous les jours et on pouvait vraiment, chacun, parler de ses douleurs, de ses souffrances mais aussi de sa passion du cinéma. Et la présence de réalisateurs comme Pascale ou Jacques (Audiard) était très importante, il nous écoutaient aussi, mais on oublie souvent que le centre du travail c’est le réalisateur, et souvent quand on sort le film ou quand on l’exploite, on le fait comme si c’était un produit – ce que c’est aussi, au milieu de plein d’autres – et c’était très fort de ne jamais pouvoir partir dans les défauts qui sont les nôtres, d’oublier l’auteur et le film. Ca, c’est la parole ; et je pense qu’elle est très importante justement parce qu’elle fait du bien. Après, le rapport écrit, il nous a surtout permis de répandre cette parole à l’intérieur de toute la profession. La première chose qu’on a faite, avant de le publier, ça a été de le faire lire à nos collègues. Et cela permet encore une autre parole – je me souviens d’un scénariste qui a dit par exemple « Ah bon, c’est pas moi qui fais une dépression ! En fait, c’est ma vie.»

Un rapport porte- parole…

Oui c’est ça. L’écrit n’est vraiment là que pour porter la parole et l’écoute.

    Une industrie formatée

Représentante de la partie conception-écriture du groupe, pouvez-vous nous parler plus en détails de votre profession, et des difficultés que vous avez pu y constater?

En tant que scénariste, je peux constater que c’est de plus en plus fatiguant et douloureux de travailler. Déjà parce que le secteur dans lequel j’évolue, celui des films d’auteur, n’est pas très riche. Or, ces films à budget petit ou moyen, sont financés essentiellement sur la base du scénario. Les temps d’écriture sont de plus en plus longs car on repasse souvent plusieurs fois devant les mêmes commissions (de l’Avance sur recettes, des régions, de certaines chaînes de télévision). En plus, on est payé à la pièce – une somme de 40 000 euros est le tarif pour un film d’auteur, somme que l’on se partage quand il y a plusieurs auteurs (et qui peut donc être réduite de moitié). C’est pas mal, mais si j’écris sur trois ans, je suis obligée de prendre d’autres projets. J’ai de la chance, on me propose du travail, donc j’écris deux, trois scénarios de fond, pour gagner en moyenne 20 000 euros par an. Et je ne parle pas de l’argent que je peux toucher des diffusions, qui arrive complètement décalé.
Donc la plupart des scénaristes qui travaillent régulièrement travaillent sur beaucoup de films en même temps, pour garder le même train de vie, d’autant que depuis l’an 2000, les tarifs n’ont pas vraiment augmenté. C’est fatigant. En plus les réécritures, faites pour pouvoir financer le film, ne sont pas toujours raisonnables, car elles nous obligent parfois (ça arrive) à dénaturer notre travail pour plaire à un acteur ou une chaîne de télé.

Justement, le rapport revient longuement sur la pression des chaînes de télévision et sur un certain conformisme dans l’écriture du scénario…

En réalité, le coût de fabrication des films a augmenté, parce que les charges sociales ont explosé. Et si on fait des films sans télé, c’est vraiment de tous petis budgets –il y a encore des films qu’on fait relativement librement. Donc quand on veut faire des films qui coûtent entre 2 et 3 millions d’euros, il faut qu’il y ait une implication des télés, de Canal Plus, Arte, France Télévisions (je ne parle pas de TF1 ou de M6,  avec qui je n’ai jamais travaillé). Et c’est vrai qu’on a tendance, tous, à écrire pour que la chaîne finance le film… C’est une forme de formatage complexe : personne ne nous oblige à le faire, ce n’est pas non plus vraiment une auto-censure. C’est une forme de conditionnement qui se répand et qui remplace un peu l’exigence qu’on pouvait avoir avant de faire un film formidable : maintenant, on doit faire un film finançable.
Avez- vous ressenti personnellement ce problème ?

Ca va mieux aujourd’hui, j’ai pris un peu de recul, je n’ai pas trop travaillé cette année. Mais il y a un an j’avais plusieurs projets en cours, c’était l’enfer, avec la tension dans laquelle tout le monde était. C’est ça qui est pénible, c’est un état de panique ou d’angoisse. C’est une telle responsabilité – qui est devenue très grande, parfois plus vraiment artistique tellement elle est liée au financement du film. On a besoin d’écrire un scénario finançable, autant que d’écrire un bon scénario, et des fois les deux se combattent – et ça ne devrait pas.  Je pense que c’est personnel.

Et malgré toutes ces contraintes, vous avez toujours du plaisir à écrire. On dit souvent que les contraintes sont aussi de bonnes choses ?

 

Oui, mais en fait ce ne sont pas vraiment des contraintes, c’est plutôt du conditionnement. Parce qu’une contrainte, c’est très bien. Mais en fait c’est plutôt l’ambiance dans laquelle ça se passe qui est très fatigante. Moi, j’ai toujours du plaisir à écrire, j’adore mon métier. Ce qui est fatigant, c’est l’angoisse dans laquelle sont les réalisateurs et les producteurs, j’ai surtout affaire à eux, mais je sais que les distributeurs sont très angoissés aussi! Les producteurs sont dans une telle situation financière, ne remontant jamais ou très peu de recettes des films qu’ils produisent, qu’ils sont toujours en train de devoir produire régulièrement pour pouvoir assurer leurs frais de fonctionnement, et pouvoir en même temps avoir de la marge sur laquelle se reposer. Donc cela les met dans un état de tension, d’inquétude très grand ; les réalisateurs aussi, parce qu’ils ont envie de faire leurs films.

Quel est le principal changement ayant dégradé la profession ?

Ce que j’ai observé, c’est qu’il y a eu un petit effet pervers des aides aux scénarios, qui ont fixé des tarifs, justement comme ces 40 000 euros qui circulent pour un scénario, mais que j’écrive en trois mois ou en trois ans, je suis toujours payée 40 000 euros : donc c’est très troublant d’être payée à la pièce. Quand j’ai commencé, on arrivait un peu à avoir des rallonges quand ça s’éternisait ; maintenant, c’est plus difficile, les producteurs sont moins souples. Ensuite, j’ai commencé parce que j’étais moins chère que les gens plus âgés que moi. Les scénaristes comme Pascal Bonitzer, mon professeur à mes débuts, il étaient lancés ; et moi j’étais une jeune qui commençait, je travaillais parce qu’on faisait le pari de travailler avec quelqu’un de moins expérimenté et de moins cher, et c’était formidable, et très juste, ça devrait toujours être comme ça. Malheureusement mes tarifs n’ont pas beaucoup augmenté parce que justement il s’est mis à exister des tarifs fixés en fonction de la richesse du film. Maintenant, je suis bien payée quand les films sont riches, et mal payée quand les films sont un peu moins riches. Ca ne correspond pas du tout à ma compétence ou à mon expérience, rien du tout qui soit lié à moi. Donc c’est embêtant pour les jeunes scénaristes parce que, pour le même prix (très bas), je casse le marché. C’est beaucoup plus difficile pour de jeunes scénaristes d’entrer dans la profession à cause de ça.

Le rapport revient aussi sur le Fonds de Soutien à la production, structure d’aide a refonder. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit, à partir d’un calcul assez savant, d’une certaine somme d’argent qui est subordonnée au nombre d’entrées qu’un film a fait. L’année suivante, pour faire un autre film, le producteur peut débloquer une certaine somme calculée sur la base du nombre d’entrées du film précédent. Et il se trouve qu’aujourd’hui cette caisse est utilisée par tous les gens qui ont participé au financement du film, que ce soient les chaînes quand elles sont co-productrices ou certaines régions ou certaines Sofica. Ce qui fait que cette somme qui est censée permettre au producteur d’investir lui-même de l’argent, est réduite à une peau de chagrin, elle retourne à la télévision, à la région et aux Sofica – et ça, c’est un vrai problème, parce que cet argent, destiné à financer les films, coûte très cher, puisqu’il signifie qu’on sait d’avance que, quel que soit le nombre d’entrées que le film va faire, on aura très peu de remontées.

La France souffre-t-elle d’un problème de bipolarisation et par conséquent de déséquilibre entre les productions ?

Il y a des films qui ont très bien marché, qui sont produits par des producteurs indépendants et qui n’ont rien touché parce qu’ils ont donné leur part en échange de l’apport financier avant le tournage du film. C’est un gros problème, comme si la pompe marchait à l’envers, càd que même si le film marche, on ne remonte pas d’argent, donc on ne peut pas investir, donc on est toujours obligé de produire – c’est pour cela aussi qu’il y a tant de films : il n’y a pas trop de films, mais beaucoup, tout le temps. Parce qu’un producteur, s’il veut continuer à garder son standing, il travaille tout le temps. Un producteur ne peut pas se permettre de ne pas produire deux ans de suite par exemple, donc il faut toujours, tous les ans, qu’il ait au moins un film en production. Et en plus, avant, ces recettes permettaient aussi la solidarité entre les films : on disait « ton film, les télés n’en veulent pas, mais moi j’y crois,  et comme j’ai fait un film qui a super bien marché l’année dernière, je vais pouvoir te produire. », ça n’existe plus, et c’est dramatique parce qu’on ne découvrira plus de nouveaux cinéastes, de nouveaux acteurs, si on ne peut pas faire de films en dehors des contraintes de la grande distribution.

Est-ce que vous diriez que depuis ces dernières années, c’est de pire en pire ?

Oui.  C’est de pire en pire depuis 4-5 ans, je pourrais pas dater précisément.

Est-ce qu’il y a eu toutefois un fait précis qui pourrait dater la dégradation du système ?

Je crois que c’est une association de plusieurs choses. Il y a eu l’augmentation des charges sociales, qui ont doublé dans les années 2000 – aujourd’hui 58% du salaire, quelque chose d’énorme. En conséquence les coups de fabrication d’un film ont explosé. Ensuite, avec l’apparition des groupes de distribution comme TFM ou SND, les frais de sortie des films ont explosé et ont été multipliés par 4 ou 5 depuis quelques années. Ces frais de promotion ayant explosé, on s’est mis à ne plus pouvoir les rembourser, et les recettes des films qui marchent ne remontent même plus. Avant, un film qui faisait 300, 400, 500 000 entrées remontait des recettes auprès du distributeur et du producteur – c’était le cas des films du milieu, ce genre de films d’auteurs plutôt grand public. Mais maintenant, il faut faire des millions d’entrées pour rembourser les frais de promotion, pour amortir le coup de la sortie d’un film, ce qui fait qu’en quelques mois, on s’est mis à ne plus avoir du tout les recettes-salles. Donc les producteurs se sont retrouvés avec très peu de retour sur la sortie des films. Je pense que ça vient de là.


Réactions et diffusion


On a pu s’étonner de la réaction de Christine Albanel vis-à-vis du Rapport. Est-ce une simple erreur de communication ou un réel désintérêt?

Après ce petit cafouillage, alors qu’elle n’avait visiblement pas lu le texte et qu’elle avait des fiches de son cabinet, elle nous a envoyé une lettre, où elle s’excusait et saluait « le sérieux et la sincérité » du Groupe et de son Rapport. Aujourd’hui, elle mandate le CNC pour expertiser nos propositions, on est donc actuellement en relation avec le CNC pour envisager une suite concrète à notre texte. C’est plutôt très positif. De toute façon, le CNC a toujours été ouvert à notre travail.

 Pensez-vous que l’application de vos propositions sera rapide ?

Nombre de nos propositions peuvent simplement faire l’objet de décrets, il n’y a pas besoin de passer par le vote d’une loi. Donc il « suffit » que le CNC émette un décret qui correspond à la proposition pour que ce soit en application. C’est quand même long parce qu’il faut ensuite que ce décret soit signé par le ministère. Si le CNC décide de transformer nos propositions en décrets, c’est-à-dire qu’il en étudie la faisabilité, qu’il travaille sur les chiffres exacts des taux que nous proposons, ça peut aller assez vite. Dans la mesure où ça ne demande pas de fonds supplémentaires, ce sont des règles de redistribution de l’argent qui circule – l’argent du cinéma, des entrées ou des taxes – ça ne demande qu’une volonté politique. Il suffit que les autorités veuillent bien le faire.

Pourtant, les politiques sont en retrait sur cette question cruciale de l’avenir du cinéma.

Oui. Christine Albanel cafouille. Je veux pas dire trop de mal de la ministre, parce que tout le monde le pense. Mais elle cafouille, je ne sais pas pourquoi.

D’autant que pendant la campagne présidentielle, la culture a été mise de côté.

Oui, il y avait même des rumeurs qui disaient qu’il n’y aurait plus de ministère de la Culture. Donc réjouissons-nous qu’il en reste un. Et j’ai l’impression qu’en ce qui nous concerne, tout le pouvoir a été délégué à Véronique Cayla (directrice générale du CNC), chargée par la ministre de s’occuper du dossier.

La publication en librairie et le didactisme du rapport prouvent-t-ils la volonté d’interpeller le public?

Oui, tout à fait. Aussi parce que déjà dans la profession, tout le monde ne peut pas comprendre ou ne connaît pas tout – enfin, moi, j’ai beaucoup appris sur la production, la distribution et l’exploitation (où c’est hyper technique). Pour la plupart des auteurs, des comédiens et des techniciens, quand on n’est pas du secteur concerné, c’est du chinois ; donc c’était important que ce soit accessible à tous. Et puis on pense que le public fait aussi partie de la chaîne, on voulait aussi l’informer de ça. Donc quand l’idée de cette publication s’est posée, on a trouvé ça très bien. Et nous ça nous donne de toute façon un rapport de forces plus fort. Par exemple, si jamais la volonté du CNC avait pu être d’enterrer ce rapport, et de le laisser mourir dans un coin, comme pour les nombreux autres rapports qui s’écrivent toute l’année, le fait qu’il soit publié nous donnait une force. Et vous, en tant que public et lectrices, vous pensez qu’il y a des gens que ça peut intéresser ?

Oui, tous les cinéphiles déjà se sentent concernés. C’est un document intéressant et précieux pour l’état des lieux qu’il fait sur la cinéma français actuel.

Voilà, vous avez la réponse. Je pense (en effet) que, d’une part, tous les cinéphiles se sentent concernés, et c’est pas très compliqué non plus de comprendre comment ça marche et c’est intéressant, parce que quand on aime le cinéma, on s’intéresse aussi à comprendre comment il est financé ; comprendre pourquoi, dans les années 90, avec la création de Canal Plus, il s’est mis à y avoir plein de « nouveaux » cinéastes, que ce soit Pascale Ferran, Arnaud Depleschin, Jacques Audiard – il y a eu une sorte de vague ; et voir que maintenant, on dit qu’il n’y a plus personne, qu’il n’y a plus de jeunes cinéastes, mais quand on regarde un peu le fonctionnement du financement, on s’aperçoit que c’est quand même très lié : c’est-à-dire qu’il y a eu un énorme appel d’air avec Canal Plus qui a permis à de nombreux cinéastes de faire leur premier film et d’enchaîner pout la plupart assez rapidement, et aujourd’hui, c’est très difficile pour un cinéaste d’enchaîner deux films en moins de cinq ans. Et donc on a l’impression qu’il n’y a pas de nouveaux cinéastes, ce qui est faux, c’est parce qu’il y a tellement de films, et c’est tellement difficile de faire suffisamment de films pour être repéré.

La presse a aussi largement relayé et soutenu l’engagement du Club des 13.

Oui. C’était très important dans la mesure où le rapport n’est commandité par personne, qu’on ne représente pas un syndicat particulier par exemple, il nous fallait donc utiliser la médiatisation, la publication et la diffusion pour créer une unité autour du texte. Aujourd’hui, il y a un peu plus de 300 personnes dans la profession qui l’ont signé ; je pense qu’il y a beaucoup plus de gens qui sont solidaires et qui n’ont pas pris la peine de le signer ou qui ne savent pas comment on fait. C’est important pour nous de sentir ce soutien, ça veut dire que ce que l’on dit est vrai. Et pour l’instant, personne n’a dit que c’était faux, que je sache !


Les films du milieu, garants de la bonne santé du cinéma

Selon vous, les trois films français (de L.Garrel, L.Cantet et A.Depleschin) sélectionnés à Cannes sont-ils des films du milieu ?

Je pense que oui. De par leur budget de production et de par leur distribution indépendante. Why Not, Rectangle et Haut et Court sont vraiment des producteurs de films du milieu. Pour Rectangle, Edouard Weil fait partie du Club des 13 depuis le début ; Pascal Caucheteux (Why Not Productions) est un des producteurs de ce cinéma français du milieu parce qu’il continue à être exigeant et qu’il essaye quand même de ne pas être trop coupé du public (il produit Noémie Lvovsky, Podalydès, Depleschin, Audiard).

Cela permet, même si vous n’êtes pas présents lors d’une conférence de presse, d’avoir un rayonnement secondaire.

Mais on est présents, parce qu’Arnaud (Desplechin) a signé, Caucheteux a signé, Cantet aussi,  Edouard (Weil) a non seulement signé mais participé au texte, Garrel a signé. Il faut savoir que l’essentiel du cinéma français a lu ce rapport et la plupart des gens l’ont signé. Il faudrait trouver les gens qui ne l’ont pas lu et qui ont refusé de le signer – il y a beaucoup de gens qui ne l’ont pas signé parce qu’ils n’ont pas encore eu le temps de le lire.
Le rapport est quand même quelque chose de très consensuel parce qu’il part d’un constat qui est fait par tout le monde. Alors après, il y a des gens qui trouvent que certaines propositions sont excessives ; les gens qui ont signé ne sont pas forcément d’accord avec les 12 propositions, mais personne ne peut contester le constat. Après, les propositions se discutent, c’est extrêmement technique, comme par exemple sur le Fonds de soutien ou les choses comme ça. On n’est pas dans une situation où on essaie de gagner, on est déjà très très forts tellement c’est évident.

Quelle est la définition d’un film du milieu?

 

Ce sont des films indépendants, indépendants vis-à-vis de sociétés qui sont adossées surtout à des chaînes de télé ; ce sont des films qui sont produits et distribués par des professionnels du cinéma et non par des émanations de la production – et ça, c’est important, ce n’est pas la même pratique ; ce sont des films d’auteur, qui sont portés par une vision individuelle et une exigence artistique ; et ce sont des films à certain budget – c’est surtout ça le milieu, c’est un budget moyen, càd des films pas sous-financés, faits confortablement mais pas non plus de façon délirante, l’argent va vraiment à la fabrication du film. Ce sont enfin des films qui s’adressent au public de cinéphiles le plus large possible : ce ne sont pas des produits destinés forcément à faire le maximum d’entrées en un minimum de temps. Les films du milieu, eux, vont plutôt rassembler leur public sur un temps peut-être plus long. Et puis je pense aussi que ces films du milieu s’inscrivent dans une tradition cinéphilique française : ils intègrent l’histoire, le passé : on pense à Pialat quand on voit le film de Kechiche, que ce soit vrai ou pas n’est pas la question. Ca je pense qu’en fait c’est très important.

Dans quel paysage s’inscrivent les films du milieu ?

C’est un pont entre deux autres catégories de films. Le « milieu » est très important parce que comme le titre du Rapport le dit clairement, il doit être un pont. C’est-à-dire que le milieu est aussi un signe qu’il y a des films plus petits, plus marginaux, qui ne sont pas moins bons ni meilleurs, mais qui sont une autre façon de faire des films qui est très importante aussi et qui va parfois ensuite donner des cinéastes du milieu voire des cinéastes très riches. Et puis en face, il y a un cinéma avec un gros budget, à vocation très commerciale, qui doit faire beaucoup d’entrées et dont les exigences sont d’être consensuel ou de servir des acteurs. Tout le spectre du cinéma est important. Et le cinéma du milieu est le cinéma qui, disons, va piquer des deux côtés et qui va protéger les films plus pauvres, leur permettre de se faire et qui va aussi peut-être dénicher des acteurs qui vont permettre à un cinéma plus riche et plus conventionnel d’exister.

Les alternatives

A l’instar de l’industrie musicale, également en crise, le rôle d’Internet est primordial dans l’émergence de nouveaux talents. Pensez-vous que cela puisse  représenter une plateforme pour le cinéma ?

Je vais vous dire non parce que je crois qu’Internet est déjà complètement contrôlé par les FAI (Fournisseurs d’Accès Internet) que sont Orange, Bouygues… et donc ça reste dans les mêmes mains. Au bout du compte, les fournisseurs d’accès sont aujourd’hui, souvent, des filiales de groupes dans lesquels il y a une télévision, donc le problème est le même, ça n’est pas un support indépendant.

Une association s’était créée, qui avait fait un site Internet et avait exposé ses projets de films aux internautes qui, s’ils étaient séduits par les projets, contribuaient à la production. Qu’en pensez vous ?

Oui, c’est bien. C’est comme La Nouvelle Star à la télé, c’est la même chose. Ca existe, oui, mais ce que je veux dire, c’est qu’économiquement, structurellement, ces supports-là appartiennent à des groupes. Le problème pour nous, c’est de garder le tissu de producteurs et de distributeurs indépendant au maximum. C’est ça qui assure la diversité : si tous les films sont financés par TF1, même si TF1 fait un TF1 expérimental, un TF1 du milieu, ce n’est pas pareil. Notre demande est très structurelle.


Le Festival de Cannes commence demain et vous avez prévu d’y faire une conférence de presse autour du rapport.

 

Je ne sais pas. Je ne suis pas au fait des dernières choses parce qu’on a pensé faire une conférence de presse, et puis finalement on a renoncé parce qu’à Cannes il y a énormément de choses. La dernière fois que j’ai eu Pascale au téléphone, elle m’a dit qu’on n’allait faire pas grand chose. On va faire une sorte de grande banderole pour dire qu’on est présent à Cannes à travers les films de membres du Club des 13 d’origine (les 13 premiers) et certains signataires.

    L’extension des difficultés

Le Rapport, par son exhaustivité et sa précision rejoint, au-delà du milieu du cinéma :  la qualité des films, l’acculturation du public, l’exception culturelle … On a l’impression qu’avec ce rapport, s’exprime le besoin de clarifier les choses, de rebâtir une certaine base pour la qualité d’ensemble.

Ca veut dire que les films ne sont pas très bons…? En fait, on est tous partis de ce constat que les films étaient dans l’ensemble moins bien, c’est-à-dire les films commerciaux, les grosses machines sont moins bien, moins bien faites, techniquement. Le niveau se dégrade dans tous les genres de films parce qu’il y a tellement de soucis annexes que le souci des producteurs, des réalisateurs et des distributeurs quand ils font le film n’est pas forcément de faire le meilleur film possible – dans sa catégorie. Ensuite, on a quand même constaté que ces films dits « d’auteurs », un peu plus ambitieux artistiquement, c’étaient ceux qui allaient dans les festivals, qui avaient des prix et qui se vendaient le mieux à l’étranger.  Je pense qu’effectivement (et ça n’est pas dans le rapport) les conditions de fabrication d’un film ont une conséquence sur sa qualité. C’est sûr qu’il y a des périodes qui favorisent mieux le travail que d’autres, et puis en même temps je pense qu’un artiste se débrouille toujours quellles que soient ces conditions, pour être plus fort et faire un bon film…

Les propositions peuvent-elles aider à améliorer la qualité du cinéma ?

Je pense qu’il y a des gens plus exigeants que d’autres. Quand je vais voir un film produit par Denis Freyd, -je le cite car Denis c’est quelqu’un qui produit très peu de films et qui les produit très bien, je sais que les gens auront fait le maximum. Donc je préférerais qu’il ait un peu plus d’argent pour faire ses films parce que je sais qu’ils seront mieux.

Pensez vous alors qu’un paupérisation s’est mise en place ?

Oui, tant sur le plan artistique que du travail des professionnels. Par exemple, avant pour les techniciens, il y avait une période où ils pouvaient passer d’un petit film, plus marginal, à un film du milieu jusqu’à un gros film – donc ils pouvaient accepter aussi d’être moins bien payés sur un film avec moins d’argent. Il y avait une péréquation qui se mettait en place, et finalement tous ces films étaient solidaires les uns des autres.Aujourd’hui, non. Càd que les films ne sont plus du tout faits par les mêmes personnes – car de la même façon, un producteur qui pouvait produire un film commercial pouvait ensuite avec les recettes de ce film produire un film plus ambitieux. Ceux qui font les films commerciaux sont des émanations des télévisions, privées essentiellement. Donc il n’y a plus de solidarité et c’est très problématique parce qu’il y a une solidarité très importante des techniciens, des auteurs, et des réalisateurs. En tout cas, c’est comme si aujourd’hui, si on veut progresser, si on veut faire des films avec des meilleurs budgets, on doit vraiment changer de ton. Voyez, alors que Truffaut ou Almodovar aujourd’hui, qui est quand même un des cinéastes « indépendants » les plus libres, continue à faire des films d’Almodovar, au début il était avec des acteurs pas connus – et ça reste quand même un de ses films. Alors qu’en France, c’est de plus en plus difficile pour un auteur d’augmenter en budget sans changer de catégorie.

Inversement, est-ce la même difficulté ?

Absolument. Ces films ne sont plus solidaires les uns des autres. Càd qu’il y a de petites boîtes de production qui font des films à très petits budgets, et pas forcément expérimentaux; et si on veut faire un film avec un meilleur budget, on a intérêt à aller vers des productions qui ont plus d’entrés avec des chaînes de télé. Il n’y a plus de solidarité entre les films.

Le mois précédent, Les Cahiers du Cinéma ont fait un dossier sur votre Rapport, dans lequel ils rapprochaient Mai 68 et ses Etats Généraux avec Mai 2008. Diriez-vous aussi que le rapport des 13 est une continuité des propositions qui furent faites en 68 (dont la gratuité de l’entrée en salle) ?

Ouh la la, c’est vieux dans ma tête, ça ! Je ne pense pas qu’on puisse dire ça parce que leur rapport est très daté, très conjoncturel. Le nôtre correspond à une réalité plus récente, avec d’une part l’arrivée des multiplexes qui a changé la donne en termes d’exploitation, les difficultés de Canal Plus (même si ça va mieux maintenant), enfin et surtout l’arrivée de ces énormes groupes que sont TFM ou SND dans une moindre mesure. Notre problème ressemble plutôt à ce qui se passe dans l’industrie : on est en train de remplacer une industrie par une puissance capitalistique où les gens qui ont l’argent sont bien plus forts que ceux qui fabriquent. C’est comme dans les grandes entreprises, avec les actionnaires qui vont finir plus forts que le patron qui a pourtant les ouvriers et  les machines en sa possession. On a un peu le même problème car l’argent du cinéma, qui appartient aux investisseurs, que ce soient les télévisions ou les Sofica, c’est un argent qui coûte de plus en plus cher et qui apporte ses propres contraintes. Non, ce n’est pas la suite de Mai 68 parce que c’est vraiment la réponse à un problème très actuel et qui au contraire est comparable à ce qui peut se passer dans beaucoup d’industries. L’indépendance des industriels, des entrepreneurs, est mise à mal par les forces capitalistiques.

Et justement, le fait qu’on va peut-être supprimer la publicité sur les chaînes de télévision publique, est-ce que ça peut être une faille pour le cinéma ? Parce que les chaînes vont peut-être redistribuer l’argent pour le financement de leur propres projets (télévisuels, et plus tant pour le cinéma) ?

La télévision publique est très mise à mal avec cette question de suppression de la publicité. D’autant que depuis que Sarkozy a fait cette annonce, les annonceurs se sont retirés de la télévision publique. Donc que la décision ait été prise ou pas, l’effet s’est produit : càd que le lendemain de l’annonce, les recettes publicitaires de la télévision publique ont baissé.

Il y a de nombreux téléfilms en attentes de confirmation pour leur tournage.

Absolument, ou qui sont reportés. Oui, à la télévision, ils ont un beau coup sur la tête. Dans le cinéma, les chaînes de télévision ont des obligations d’investissement à hauteur de 3,2 ou 3,5 % de leur chiffre d’affaire. Et d’une certaine façon, ça ne change rien, ce sont des enveloppes très séparées ; peut-être qu’il y aura moins d’argent mais ça n’a pas de conséquences immédiates très graves pour le cinéma, ça en a plus pour la création de téléfilms, surtout pour la production télé, documentaires et fictions, parce que c’est ça qui coûte le plus cher. Sinon, ils n’ont pas de budget alloué au cinéma, ça a été installé il y a très longtemps : en échange de la concurrence que fait la télévision au cinéma tous les soirs, il a été établi  dès 1980 des obligations de compensation de cette concurrence, pour toutes les chaînes de télévision qui doivent donc investir un certain taux de leur chiffre d’affaire. Après, à l’intérieur de cette enveloppe, qui fluctue vaguement, ils font ce qu’ils veulent. Alors peut-être que ça va les inciter à produire des films extrêmement consensuels pour retrouver des annonceurs.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi