Compte-rendu du festival d’Erevan

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Notre collaborateur Jean-Max Méjean était jury au 19ème Festival Golden Apricot 2022, qui s’est tenu du 10 au 17 juillet… Il nous partage son compte-rendu, au cœur de l’évènement !

La route de la soie et du génocide

Erevan, en Arménie, c’est un nom qui fait rêver, sur la route de la soie, proche de Samarcande. On imagine à l’époque les grandes caravanes qui partaient lentement vers l’Asie chercher cette soie si précieuse. Les temps sont beaucoup moins romantiques. On a un peu trop oublié qu’au début du XXème siècle, les Arméniens furent victimes d’un génocide perpétré par les Turcs qui ne l’ont toujours pas reconnu. Plus tard, pendant la Seconde Guerre mondiale, le chef d’un réseau de résistants, Missak Manouchian, poète d’origine arménienne, fut fusillé avec ses camarades par la Gestapo en février 1944. Louis Aragon en fit un poème inoubliable, « Strophes pour se souvenir » dont un des vers éclaire d’une lueur mélancolique encore une fois la capitale de l’Arménie : « Quand tout sera fini plus tard en Erevan ». Le nom d’Erevan est associé aussi au mont Ararat maintenant en Turquie mais qu’on peut voir scintiller avec ses neiges éternelles depuis les hauteurs de la ville. Ville de tapis, de lumière, écrasée de soleil avec une brise bienvenue le soir, Erevan et ses habitants si délicats et accueillants est une porte ouverte sur les arts et la vie. Hélas, et les deux films hors compétition de la soirée d’ouverture et de clôture ont mis à jour à la fois le génocide pour Amerikatsi, film arménien de Michael Goorjian et, pour la soirée de clôture, Invisible Republic de Garin Hovannisian qui revient sur la drôle de guerre, qui n’est pas finie et qui menace toujours les Arméniens que personne dans le monde ne défend vraiment. Menacée à cause de l’enjeu du Haut-Karabakh ou Artsakh, république autoproclamée entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ce dernier s’étant emparé d’une partie du territoire après la guerre de 2020. Ce conflit dure depuis des années et risque de s’embraser à nouveau à une époque où l’on ne parle plus que du conflit en Ukraine. Ces deux films sont magnifiques et mériteraient d’être projetés en France pour mieux faire comprendre le problème arménien.

Des hommages et des découvertes de taille

Mais les Arméniens continuent de rester un peuple gai, mais pas inconscient, qui danse, fait la fête et voit des films qui étaient à l’honneur encore une fois pour cette 19ème édition vraiment très riche. Hormis les deux films dont nous venons de dire deux mots, beaucoup de films hors compétition dont certains avaient été projetés à Cannes comme La femme de Tchaikovsky de Kirill Serebrennikov, Les Nuits de Mashhad d’Ali Abassi, Triangle of Sadness de Ruben Östlund (« notre » Palme d’or), Stars at noon de Claire Denis ou encore Pacifiction d’Albert Serra qui était, en même temps que Costa Gavras, invité d’honneur du festival Golden Abricot, ce fruit délicieux qui murit en Arménie. De quoi proposer un hommage à ce réalisateur et le public a pu revoir Z et le dernier, génial, Adults in the Room, de plus en plus d’actualité dans notre monde à la dérive. Mais aussi les autres films d’Albert Serra, dont le génial La mort de Louis XIV.

On a eu aussi l’occasion, dans ce festival particulièrement riche, de rencontrer Serge Avédikian, un habitué du Golden Apricot, venu présenter un film de 1995, Labyrinthe. Il était accompagné du réalisateur, Mikael Dovlatian, et de la très charmante actrice du film, Nora Armani qui vit entre Erevan, Paris et New York. Une surprise en effet que ce film soutenu par l’ambassade de France et qui surprend par son thème surréaliste entre Arrabal, Fellini et Paradjanov. Pour en savoir plus, cliquer ici.

On rendait aussi hommage à l’ACID avec la présence dans un jury de Pauline Ginot, sa directrice. Il y avait aussi, dans le jury international en tant que président Terry George et l’occasion pour le festival de lui rendre aussi hommage avec une rétrospective, notamment Hôtel Rwanda. Ce jury avait à distinguer quelque onze films, avec plusieurs prix à la différence du jury de la presse internationale (FIPRESCI) pour lequel j’avais fait le voyage pour la troisième fois et qui n’a droit qu’à un seul prix. Les moments où nous n’étions pas occupés à visionner les films de notre section régionale (c’est-dire-dire tous les pays plus ou moins voisins de l’Arménie), j’ai pu regarder d’autres films, le choix était infini comme à Cannes mais de façon plus sympathique. Ainsi j’ai découvert le nouveau film d’Ulrich Zeidl, Rimini. J’avoue que j’y suis allé croyant que ce serait un documentaire sur la ville du Maestro Fellini. Mais non, c’est l’histoire d’un latin lover chanteur autrichien installé dans la ville et qui séduit de vieilles dames, dans le style propre au réalisateur. Quelle gifle en effet ! Avec un emploi du temps aussi chargé en visionnages et en réceptions toutes plus fabuleuses les unes que les autres, je n’ai pas pu revoir L’année dernière à Marienbad, ni même Picnic à Hanging Rock de Peter Weir, un film de ma lointaine jeunesse. J’ai découvert en revanche un film arménien à la manière d’Emir Kusturica, Chnchik d’Aram Shahbazyan, un réalisateur sautillant et inventif qui a fait ses études à la Fémis. Et puis des courts-métrages aussi, dont un m’a marqué pour la vie et pourtant il ne dure que quinze minutes, Subtotals de Mohammadreza Farzad. Vous verrez plus bas qu’il a été récompensé et c’est justice.

Des chiens et des hommes

Une chose est certaine : le cinéma actuel n’oublie pas les animaux sans doute parce qu’ils sont des personnages beaucoup plus poétiques que les humains qu’on n’a pas encore remplacés par des humanoïdes. Mais la science n’est plus une fiction, l’intelligence artificielle progresse à pas de géant. Sans doute aussi parce que l’industrie est de plus en plus influencée par l’écologie et les théories animalières. Peu importe en fait, au festival Golden Abricot d’Erevan cette année, on ne pouvait pas ignorer les chiens petits et gros qui traversent la plupart des films. Je me suis amusé à les dénombrer et il y en a dans tous les films, furtifs souvent, pas nécessairement en premier rôle, mais on les oublie moins facilement que certaines starlettes des années soixante.

Dans The Apple day de Mahmoud Ghaffari auquel nous avons accordé le prix de la Fipresci, ce n’est pas un chien mais un petit poussin qu’un commerçant donne un jour au jeune garçon du film, celui qui fera tout  pour que son père retrouve son honneur perdu suite au vol de sa camionnette qu’il a subi. Le néoréalisme italien n’est pas très loin, et le voleur de pommes n’est pas le même que celui de la bicyclette. Mais petit poussin deviendra grand, si bien que l’enfant Mehdi ne pourra se résoudre à le vendre pour qu’il soit tué, même si c’est pour trouver un peu d’argent pour acheter quelques pommes pour ses camarades de classe, comme le lui a demandé l’institutrice. Dans I am not Lakit de Marie Surae, le chien qui passe dans la rue, comme perdu, peut bien sûr être une métaphore de Lakit, ce jeune homme sans famille et presque sans passé qui cherche à revivre. Dans Foragers de Jumana Manna, le chien trône même sur l’affiche du film. Republic of Silence de Diana El Jeiroudi est un long documentaire de plus de trois heures qui raconte des allers retours entre la Syrie déchirée et plusieurs pays européens, notamment la ville de Berlin. Le chien qui accompagne le couple est comme une mascotte, une preuve d’être encore en vie, parce que le chien est souvent bien plus photogénique et tendre que la majorité des humains. Dans Revolivetion de Ara Tchagharyan et Artashes Matevosyan qui relate, à travers des vidéos d’anonymes, les journées de révolution en Arménie en 2018 au moment où le peuple s’est révolté pour chasser les dirigeants corrompus. On découvre bien sûr un chien qui passe dans la manifestation, comme preuve de cette présence rassurante. Rojek de Zaynê Akyol est un film très sobre et presque tragique dans sa manière de questionner frontalement les prisonniers qui ont été impliqués dans le mouvement Daesh. On arrive à voir quand même dans le désert, un chien errant. Sonne est un beau film, primé par un autre jury du festival, de Kurdwin Ayub qui met en scène de belles filles qui ont « lost their religion ». Dans certains films qu’elles matent sans arrêt sur leurs téléphones portables qui leur disent qui est la plus belle, on voit passer des chiens et des oiseaux, qui font des incursions pour le moins poétiques. Pour The exam de Shawkat Amin Korki et pour A room of my own de Ioseb “Soso” Bliadze, pas de souvenirs d’animaux dans le plan, même furtifs. Mais j’aurais dû prendre des notes. Je me souviens que lorsque j’étais jeune, j’avais imaginé un scénario de film dans lequel tous les personnages étaient tenus par des chiens. On me l’a vertement refusé. Maintenant, je pense que je ferai un tabac si je le ressortais. Même dans Tchaïkovski’s Wife de Kirill Serrebrennikov, il y a deux chiens qui sautent dans un salon moscovite et un chien tenu en laisse qui passe dans une rue enneigé. Et, bien sûr, dans notre sélection de films régionaux, 5 dreamers and a horse, film arménien de Vahagn Khachatryan et Aren Malakyan, le cheval, autre animal triste d’avoir été domestiqué par des ingrats, est présent jusque dans le titre. Et même si on le voit très peu dans le film, il ne nous quitte plus au même titre qu’une vache qui accouche ou de deux autres qui, indifférentes, nous regardent passer et vivre. Il paraît que le chaton est la coqueluche des réseaux sociaux. On en a vu passer certains certes, mais le chien est quasi omniprésent au cinéma, comme si le réalisateur voulait capter ce qu’Hegel disait déjà au XIXe siècle en parlant du meilleur ami de l’homme dont le regard est plein d’une mélancolie que l’homme ne sait pas exprimer. En fait, on est revenu aujourd’hui de l’idée longtemps répandue que le chien serait un « loup domestiqué ». En réalité, le chien et l’homme ont co-évolué : le chien a un peu domestiqué l’homme. Il semblerait que le chien soit apparu il y a 45 000 ans au moment où Homo Sapiens était en pleine mutation. Voici pourquoi il est devenu si important, et pas seulement pour le cinéma.

Un palmarès qui fait l’unanimité

Et voici les heureux gagnants, puis la soirée se termina de façon mémorable dans une piscine digne des fastes de Dubai avec mon avion qui décolle à 3 heures du matin !

 

Golden Apricot : Return to Dust de Li Ruijun,

Silver Apricot : Aurora’s Sunrise d’Inna Sahakyan

Special Mention : Unrest de Cyril Schäublin

 

Panorama régional :

Golden Apricot : Sonne de Kurdwin Ayub

Silver Apricot : The Apple Day de Mahmoud Ghaffari

Mention spéciale : Rojek de Zayne Akyol

Prix de la FIPRESCI : The Apple Day de Mahmoud Ghaffari

 

Apricot Stone

Golden Apricot- : Subtotals de Mohammadreza Farzad

Silver Apricot : The Dead Will Understand d’Ana Jegnaradze et Marita Tevzadze

Mention spéciale : Night d’Ahmad Saleh

Meilleur court-métrage arménien : Korean Delicacy d’Hambardzum Hambardzumyan

 

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