Collection DVD Johnnie To

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Retour sur la dernière partie de l´oeuvre d´un des plus talentueux metteurs en scène Hongkongais, grâce à la sortie groupée de cinq films de Johnnie To : le pessimiste diptyque « Election », le génial « Exilé », le lumineux « Sparrow » et la production « Filature »

Si Vengeance laisse un arrière goût d’inachevé et de déception, on peut toujours se consoler en se disant qu’il s’agit là du cinquantième film du cinéaste Hongkongais, et qu’on n’est donc pas à l’abri de découvertes passées et futures, tant sa maîtrise et son talent éclatent tout de même à chaque plan de son dernier polar. En attendant de découvrir les nombreux inédits concoctés à Hongkong, loin du regard occidental, et son imminente adaptation du Cercle Rouge de Melville, TF1 Video nous propose un voyage vers son passé le plus récent, en regroupant dans une collection « Johnnie To » cinq films, tous réalisés après 2005. Pour les replacer grossièrement dans la carrière du cinéaste, disons qu’il s’agit de sa période la plus libre, après une décennie d’apprentissage dans les années 80 à réaliser des commandes (comédie, films romantiques, quelques polars assez impersonnels) pour les studios, avant d’accéder à la notoriété dans les années 90 en montant sa boîte de production, Milky Way Image, tout en se spécialisant dans des polars ultra stylisés de plus en plus aboutis. Les cinq films de la collection témoignent de l’aboutissement de ce système en conciliant à la fois ambitions personnelles et ancrage dans un genre extrêmement codifié.

Election 1 et 2 : Johnnie To, Parrain du cinéma de Hong-Kong

Réalisé en 2005, le diptyque Election s’inscrit dans le renouveau du polar Hongkongais, renaissant peu à peu de ses cendres grâce au déjanté Time and Tide de Tsui Hark (2001), au solide Infernal Affairs, qui ambitionne en 2003 un retour à une forme plus classique et réaliste, et surtout grâce au minutieux travail de Johnnie To lui-même, qui a su prendre, après 1997, une place laissée vacante par les réalisateurs pensant trouver leur bonheur à Hollywood. Les films de Johnnie To de cette période (disons du Heroïc Trio de 1993 à Breaking News en 2004, en passant par Fulltime Killer, The Mission, PTU, etc.) se font ludiques et inventifs, et ne tardent pas, couplés à la réalisation de productions standardisées pour le public asiatique, à faire de son réalisateur à la fois le maître du box office Hongkongais et un auteur reconnu internationalement.

Election s’inscrit dans cette veine de polars intelligents et bourrés d’idées, mais témoigne aussi d’un caractère plus sombre, ainsi qu’un regard désenchanté sur l’évolution de la société chinoise. Le film prend le prétexte de l’élection du délégué d’une triade Hongkongaise, qui a lieu tous les deux ans, pour nous entraîner dans un jeu de piste mettant en lumière la face la plus noire de la nature humaine. Le premier film voit Lok, homme d’affaire pragmatique incarné par Simon Yam, perdre son humanité en s’opposant à un chien fou incarné par Tony Leung Ka Fai, alors que la seconde partie voit le même Lok s’opposer à un jeune rival n’aspirant qu’à sortir de la triade, mais bloqué dans un engrenage infernal.

On le voit, la thématique classique des films de Mafia est largement empruntée au Parrain (surtout dans le 2, où le personnage de Louis Koo est un mélange de Corleone jeune – il a encore son idéalisme – et vieux – il fait sienne la phrase : « Just when I thought I was out, they pull me back in »). L’intérêt vient du fait que le film suit l’évolution de triades Hongkongaises après la rétrocession, et nous rappelle quelques vérités en s’inscrivant dans une modernité glaçante : les plus implacables meurtriers sont maintenant hommes d’affaires et avocats, le gouvernement chinois contrôle largement le fonctionnement des triades, les traditions ne sont plus respectées et n’existent que pour la façade, sauf lorsqu’elles justifient l’écrasement d’un individu, etc.

Le style de To s’inscrit aussi classiquement dans le cinéma de Hongkong, tout en s’en écartant par quelques audaces visuelles ou narratives. Ainsi, première dans le cinéma d’action made in HK, Election ne montre aucune arme à feu, et les violents combats ont tous lieu à l’arme blanche. Le film, concentré de noirceur, fait aussi preuve d’un humour distancié et subtil, en jouant par exemple sur les hasards et les retournements de situation surprenants à la limite de l’absurde, marque du cinéma de Johnnie To. Pour preuve, la fin du premier opus, qui pousse, dans une scène de pêche à la ligne d’anthologie, et alors que le film aurait déjà pu se terminer, la logique du personnage à un point tel que le ton devient surréaliste à force de réalisme. Mais le second film est peut être plus abouti encore, tant l’ampleur tranquille qu’il adopte, malgré ses fulgurances de violence qui arrivent à vous retourner l’estomac, l’amène vers une tragédie magnifique, à la tristesse diffuse mais persistante, émotion rare dans un cinéma que l’on considère volontiers comme formel.

Exilé : Perfection chiffrée

Second point d’orgue de cette collection, Exilé, réalisé en 2006 dans la foulée d’Election, emmène justement le système formel de Johnnie To à sa perfection. Si le film est au premier abord un peu froid et mécanique, presque trop rigoureux dans l’exercice de son style, il acquiert en cours de route une mélancolie réelle, et une impression de liberté totale.

C’est d’abord autour du chiffre cinq que semble s’organiser Exilé, structuré par cinq scènes de gunfight qui opposent cinq hommes au reste du monde. Mais l’équilibre est rapidement rompu par Wo, le cinquième membre du groupe, qui a d’abord dû quitter Macao, où se déroule le film, après une tentative d’assassinat d’un chef de la Triade locale (Simon Yam), laissant ses quatre amis seuls, avant de diviser le groupe lors de la première confrontation (créant une symétrie recomposée autour d’un double duel au centre duquel il se trouve). Pas étonnant que ce fauteur de trouble, qui refuse de se plier à l’élégance mathématique du film, meure rapidement. Cette nouvelle horde sauvage tentera une tentative de recomposition avec un militaire croisé sur leur route, puis abandonnera l’idée d’être cinq pour le dernier combat. De toute façon, à ce stade, on s’est déjà rendu compte que le chiffre cinq est un leurre, et que la construction du film repose plus sur le hasard et l’errance, à l’image du parcours du gang du film, qui laisse son destin se décider à un jeu de pile ou face. C’est alors plutôt dans le caractère binaire et la dualité de ces deux faces que le film va rechercher son unité.

Outre la figure de l’exil, qui prend grâce à cette pièce lancée au hasard la figure de la dualité, et celle des duels (toujours multiples), qui structurent les gunfights, c’est bien le chiffre deux qui finit par dominer le film. Le projet de Johnny To est d’abord marqué par cette dualité, puisqu’il s’agit de mélanger aux codes du polar Hongkongais traditionnel (avec ses tueurs aux lunettes noires mais à la morale nostalgique, sa caméra toujours mouvante qui filme les fusillades comme des scènes musicales, etc.) ceux des westerns des années soixante et soixante-dix, et notamment européens (citations multiples de Sergio Leone, ambiance à la Peckinpah, musique singeant celle de Moricone, etc.). C’est comme si Johnny To voulait dans un geste cinématographique, refléter l’image culturelle de Macao, ancienne colonie portugaise à la double culture chinoise et occidentale. Par ses mélanges, le film rappelle Cowboy Bebop (qui mixe aussi la culture asiatique et le western occidental pour créer une impression de liberté nostalgique) ou fait figure de Kill Bill inversé. Mais cette dualité culturelle est surtout le reflet du style personnel de Johnny To, qui alterne dans ses films gunfights orchestrés avec maestria et scènes de détente légères et mélancoliques en rupture complète avec celles qui précédent. Cette fusion et complémentarité du style et de la culture crée un sentiment de liberté ludique, de plus en plus fort à mesure qu’Exilé se déroule, et atteint son paroxysme dans la dernière scène, magnifique fusillade-suicide filmée à travers le regard d’une canette de Red Bull.

Filature et Sparrow : Des à côtés essentiels

Face à ces deux sommets, les deux autres films de la collection peuvent sembler plus anecdotiques. La forme modeste de Sparrow cache pourtant une véritable richesse et la liberté de ton dont fait preuve le film, ses audaces narratives et son humour d’une finesse rare pour un film Hongkongais laissent une durable impression de jubilation chez son spectateur. Film jazzy aux allures de comédie musicale sans chansons, Sparrow se concentre sur quatre pickpockets aux prises avec une étrange femme fatale. Leur confrontation débouche sur une magnifique scène finale, balai nocturne de parapluies dans un Hongkong à la fois réel et imaginaire. Car c’est avant tout comme un hommage à sa ville que Johnnie To a conçu ce film, qu’il a tourné sur trois ans, entre deux projets plus lourds.

Filature complète donc ce poème urbain en présentant la ville d’une manière autrement plus heurtée. Les courses-poursuite à pieds et les fusillades sur les échangeurs d’autoroute remplacent les promenades à vélo. Bien loin pourtant de ce que laisse présager la police du titre français, calquée sur celle de 24, le film n’est pas une apologie de la technologie et de la modernité, mais présente une ville furieusement organique (on passe son temps à y manger), où l’intuition et l’intelligence des personnages est bien plus utile que les gadgets de l’ère numérique. Ce caractère presque artisanal de Filature reflète bien la manière dont Johnnie To, qui se contente de produire, mais dont la pâte se ressent partout dans le métrage, envisage le cinéma. Car si le film est effectivement bien en deçà des quatre autres, il permet de souligner la cohérence du fonctionnement de Milky Way : la récurrence des acteurs (dont ici encore Simon Yam, toujours parfait, que ce soit en chef de triade à la violence rentrée, en sympathique pickpocket ou en gangster excessif) et de l’équipe technique comme artistique (c’est ici No Yau-Ho, scénariste de 24 films pour To, de Bare Foot Kid en 1993 à Triangle en 2007 qui réalise) permet une rapidité de l’exécution et une certitude de l’ouvrage bien fait, même pour les films plus mineurs comme celui-ci.

Bonus

C’est Lam Suet, dit « Le Gros », qui risque d’être déçu tant les suppléments de cette collection laissent le spectateur sur sa faim. Trois petits « Making of » sur Exilés, Election 1 et 2 et puis c’est tout. Et encore, il s’agit là de courtes (entre 7 min pour Election et 12 minutes pour Exilés) featurettes promotionnelles, composées pour une moitié d’interviews montées ultra rapidement, et l’autre moitié d’extraits de films. Ce n’est pas là qu’on apprendra quoi que ce soit sur la méthode Johnnie To, fascinante par son efficacité et produisant deux films par ans avec plus ou moins la même équipe. On peut aussi regretter que la collection se concentre sur des films connus, déjà vus au cinéma, voire déjà édités en DVD, et laisse de côté l’inédit Linger, mélo fantastique difficilement exportable hors de l’Asie et réalisé entre Mad Detective (de 2007, aussi absent de la collection) et Sparrow. On pensera aussi à compléter la collection avec Triangle, film à six mains prouvant que Johnnie To bat largement Ringo Lam et Tsui Hark sur un terrain qu’ils arpentent pourtant depuis plus longtemps que lui.

Films de la collection :

* Election (2005)
* Election 2 (2005)
* Exilé (2006)
* Filature de No Yau-Ho (2007)
* Sparrow (2008)

       



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