Coffret Tomás Gutiérrez Alea chez Tamasa– ¡Cuba y la Revolución! (La mort d’un bureaucrate, La última cena, Fraise et chocolat)

Article écrit par

Trois périodes et trois tonalités différentes : trois tableaux au vitriol de la société cubaine.

Les racines du mal

Plus d’une vingtaine de films en pratiquement cinq décennies, Tomás Gutiérrez Alea est l’un des rares cinéastes Cubains à être connu du grand public français, notamment grâce Fraise et  chocolat (1993), coréalisé avec Juan Carlos Tabio. Ce titre fait bien évidemment partie du coffret, dans lequel figure également La mort d’un bureaucrate (1966) et La Dernière Cène (La última cena, 1976).  Point commun à ces trois œuvres qui abordent différentes époques de l’histoire Cubaine, leur caractère éminemment politique. La última cena remonte à la fin du dix-huitième siècle pour dénoncer le lourd passé esclavagiste de ce pays, en mettant en scène  l’arrogance, l’hypocrisie et la violence d’un propriétaire sucrier qui invite à sa table ses esclaves le Jeudi Saint avant de leur réserver un tout autre sort les jours suivants. La révolte qui gronde, l’inversion provisoire des rapports entre le maître et les serviteurs rappellent l’effervescence trompeuse de La règle du jeu (Jean Renoir, 1939). Les cinglantes attaques contre l’église et les notables empruntent à Luis Buñuel son acidité subversive. Figé par moments dans ses intentions  didactiques, le pamphlet reste néanmoins toujours aussi saisissant malgré le poids des années. Si Fraise et chocolat, s’attaque à une autre discrimination, celle envers les homosexuels, les relents du colonialisme ne manquent pas d’être évoqués. Plus largement, le régime Castriste s’appuie sur une perpétuelle recherche d’ennemies. Venant de l’extérieur comme le whisky américain, de l’intérieur comme les auteurs et artistes « anti -révolutionnaires ». Homosexuel, érudit, esthète, le personnage de Diego incarne tout ce qui doit être dénoncé au nom de la grandeur du pays. Plongé malgré lui dans cette véritable obsession nationale qu’est la chasse aux sorcières, David va échapper à ses pernicieux impératifs et gouter avec autant d’avidité aux deux parfums de l’amour. En dépit d’une direction programmatique,  Fraise et Chocolat séduit par sa sensualité et son humanisme sincère.

 

Tout change mais rien ne change

Malgré les promesses du vénérable propriétaire terrien, le massacre qui clôture La última cena ne laisse aucun espoir sur la nature humaine et encore moins sur une possible  répartition des pouvoirs. La révolution Castriste s’enorgueillit de pouvoir rendre toute ses lettres de noblesse au peuple cubain. Socle présumé de la réussite du système, une bureaucratie qui confine à la perfection théorique; pour finalement aboutir à la confusion la plus totale dans sa mise en pratique. La mort d’un bureaucrate (1966), dans lequel un travailleur modèle enterré avec son livret de travail prive sa veuve de la pension qui lui est due, sonne le glas des illusions du système. Des trois titres du coffret, cette farce décapante est sans nul doute la plus belle réussite. Sur un rythme effréné façon slapstick, sans pour autant nuire à la dimension humaine du récit, s’enchainent joutes verbales, poursuites et moments de sidération, dans un crescendo kafkaïen. » Pour faire exploser le système, Tomas Gutiérrez ne manque pas de munitions. L’humour macabre associé à un esprit bon enfant évite tout apitoiement.  Finalement, plus l’État promet de se charger du bien-être de ses citoyens, plus ces derniers ne peuvent compter que sur le système D pour s’en sortir. Avec comme arme principale,  la légendaire faconde Latino-Américaine. L’art de la parole s’illustre à des degrés divers chez les personnages principaux de chacun des trois films, pour le meilleur et pour le rire.  Mais cet exutoire, ce moyen de survie ne saurait cicatriser tous les maux.  « J’ai eu mes illusions, à l’âge de quatorze ans je me suis engagé pour lutter contre l’analphabétisme  » déclare amèrement David. L’intolérance grandissante du régime communiste l’oblige à quitter son pays qu’il aime tant. Faisons le trajet inverse par l’intermédiaire de ce coffret consacré à Tomás Gutiérrez Alea.

Coffret Tomás Gutiérrez Alea – ¡Cuba y la Revolución! sortie le 2 mai 2023 chez Tamasa.

 

 

 

 

Réalisateur :

Année : , ,

Genre : , , ,

Pays :


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi