Coffret « L´Amérique en guerre » aux Editions Montparnasse

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Capra, Huston, Ford, Sturges et bien d´autres vous expliquent la Seconde Guerre mondiale. Attention l´Amérique attaque !

Encore et toujours, la Seconde Guerre Mondiale n’en finit pas d’habiter l’actualité cinématographique. Entre illustration plus ou moins en vague en toile de fond de certains films de fiction (dernier en date, La Nouvelle Guerre des boutons de Christophe Barratier pour le meilleur et surtout pour le pire), la publication ou le travail sur des documents d’époque peut apporter des connaissances nouvelles sur le sujet, mais permet surtout d’évaluer le regard portée par le cinéma sur le conflit et sur son époque. Les prolifiques Edition Montparnasse publient ainsi ces jours-ci une véritable mine d’or : le coffret L’Amérique en guerre ou le regard d’Hollywood (et de l’armée américaine) sur la guerre.

L’histoire de ces documentaires est des plus curieuses. Il s’agit de la commande par l’Etat-major américain à la fine fleur des metteurs en scène hollywoodiens de films à la double ambition : expliquer aux soldats les raisons de leur enrôlement et convaincre le peuple américain, isolationniste par nature, de la nécessité d’entrer en guerre. Le général Marshall fait appel à Frank Capra pour mettre sur pied une équipe et les premiers films. Est créée le 814e Détachement photographie de l’Etat-major qui verra défiler John Huston, William Wyler, John Ford, John Sturges, George Stevens, Anatole Litvak et Joris Ivens. Dans ces dix-sept documentaires, on passe d’un fonds largement propagandiste avec la série Pourquoi nous combattons/Why we fight de Capra et Litvak (« Le but de ces films est de décrire les événements qui nous ont poussés à entrer en guerre et les principes pour lesquels nous nous battons. », Prélude à la guerre, 1942) à une description de la guerre depuis l’intérieur avec les films de Ford et Huston.
 


Prélude à la guerre, Frank Capra & Anatole Litvak (1942)

C’est un vrai cours – très orienté – sur le déroulé, les causes et les exactions de la Seconde Guerre mondiale qu’Hollywood et l’armée ont offert au cinéma et les moyens sont considérables : tournage sur le terrain en plein combats, images d’archives des bulletins d’information, des films des Nations Unies ou des films des camps adverses, multiplication des cartes et des commentaires, scènes reconstituées quand les archives sont manquantes… On a mis le paquet. Le cinéma se révèle véritablement comme une arme. Assez tôt des voix et des films de fiction évoquant ou dénonçant le nazisme ont existé à Hollywood (Les Aveux d’un espion nazi de Litvak en 1939, Correspondant 17 d’Hitchcock en 1940…), mais rien n’égale la charge de certains de ces documentaires. Avec le recul des années, le contenu largement propagandiste de certains éclate au grand jour, là où d’autres paraissent vouloir déjouer cet aspect pour proposer une vision un peu moins manichéenne de la guerre. Ils en paieront le prix.

La guerre pour les nuls

Le duo Capra/Litvak illustre vraiment la première vague de ces documentaires dans laquelle il faut avant tout convaincre de la nécessité de la guerre. Les deux premiers films (Prélude à la guerre et Les Nazis attaquent) reprennent d’ailleurs l’histoire des années trente, de la montée du nazisme à l’inexorabilité de la guerre. Ils déploient une masse phénoménale, quasi abrutissante parfois, d’archives qui sont confrontées à des reconstitutions à l’efficacité narrative et symbolique typiquement hollywoodienne (l’image d’Hitler apparaissant en surimpression à travers des vitraux brisés, sens du suspense, précision du montage son…). Le ton se veut pédagogique, mais c’est véritablement à un spectacle de propagande qu’on assiste. L’Amérique se pose en victime menacée tout autant qu’en sauveur de la vieille Europe et par extension du monde, une constante. Les trois ennemis (Hitler, Mussolini, Hirohito) sont autant d’hommes à abattre (« Si vous les rencontrez, n’hésitez pas. ») et les films quasi des avis de recherche. C’est un monde ultra-manichéen qui est construit sous nos yeux, le monde libre et le monde asservi, et la guerre devient celle du bien contre le mal, évoquant immanquablement l’axe du mal invoqué par l’administration Bush pour justifier ses guerres. Sur fonds de dramatisation musicale, les films mettent en scène des oppositions franches : les défilés nazis versus les beaux enfants américains, des comparaisons très superficielles entre les cultures et surtout l’opposition entre le méchant ennemi sanguinaire et le beau soldat valeureux américain.

 

 

Prélude à la guerre
, Frank Capra & Anatole Litvak (1942)
 
Les sommets sont atteints avec Sachez reconnaître votre ennemi : le Japon (1945) de Capra et Joris Ivens (réalisateur hollandais du Pont ou de La Pluie). Le film est une compilation d’actualités japonaises volées par l’ONU et de films historiques. A tout niveau le film est impressionnant. Avec son titre-programme, il présente aux Américains la culture nippone. Sous couvert de sérieux et d’information, le ton est fréquemment ironique ou sarcastique, chaque élément de la culture japonaise est tourné en dérision par la voix off qui, comme dans les films précédents, n’hésite pas en américain à singer l’accent ennemi. Le montage est bien meilleur que sur les films Capra/Litvak, plus intelligent, plus fin, moins grossier et donc plus efficace, ce qui ne l’empêche pas d’être encore plus abject. Le modèle de vie et les ambitions japonaises sont constamment brisés par le commentaire, là où finalement ces dernières ne sont pas si éloignées de celles de l’Amérique. Sachez reconnaître votre ennemi accuse le Japon de mener une guerre quasi religieuse et de vouloir dominer le monde, mais dans le même temps lui reproche d’avoir refusé l’imposition du christianisme dans le pays. Le film a pu être tancé, avec raison, de xénophobe. C’est en effet un véritable encouragement à la haine envers tout un peuple qui reprend largement des élans fascistes que l’effroi de Pearl Harbour ne peut complètement justifier à l’image de la sentence du film : « Vaincre cette nation est aussi vital que d’abattre le chien enragé qui rode près de chez vous. »


Sachez reconnaître cotre ennemi: le Japon
, Frank Capra & Joris Ivens (1945)

La guerre de l’intérieur

Le gentil Capra, l’ancêtre du feel good movie en prend un sacré coup. C’est à regarder La Vie est belle différemment. Forcément à côté d’une telle violence de ton, les autres réalisateurs ressemblent à des enfants de cœur. Il faut avouer que le but des autres films n’est pas nécessairement le même. Il s’agit moins d’encourager à la guerre que de la décrire. Les archives cèdent la place à un tournage sur le terrain, parfois au cœur des affrontements à la manière de La Bataille de San Pietro de John Huston (1945). Beaucoup moins léché que les autres, très vif (le cadre est mobile, voire branlant), c’est le champ de bataille qui est traversé et le film est donc bien plus violent et immédiatement choquant car il confronte à l’horreur de la guerre. A tel point que le film risqua la censure car jugé trop démoralisant ( !) mais a été sauvé de justesse par Marshall revendiquant justement que les soldats devaient être préparés à cette horreur.

 

Les Aléoutiennes, John Huston (1943)

Si les différents films de Huston conservent une dimension pédagogique (Les Aléoutiennes en 1943 ressemble à un cours de géographie stratégique autant qu’à un manuel d’attaque aérienne), John Ford l’évacue quasi complètement pour se consacrer beaucoup plus à l’humain. Dans La Bataille de Midway (1942), quand il ne filme pas des mouettes, il met en avant une figure héroïque dont il romance la vie. Dans Pearl Harbour (1943), il met en avant les familles des soldats décédés. S’il n’évite pas un certain côté larmoyant, la charge contre l’ennemi est atténuée et il est plus proche de l’horreur de la guerre que de la haine de l’ennemi. La représentation de la guerre se fait parfois plus abstraite, car plus directe et non explicitée par une voix off omniprésente comme chez Capra/Litvak. Si elle reste présente, la propagande chez Ford se fait plus maladroite et moins efficace. Comme souvent chez lui, la victoire est entachée du sang des victimes. Ainsi ses documentaires sont fondamentalement assez proches de ses films de fiction, on y retrouve le même homme et le même regard sur la complexité de l’humain. Cela ne plaît pas forcément beaucoup aux autorités. Jugé trop compatissant vis-à-vis des Japonais d’Hawaï, Pearl Harbour (1943) est censuré de cinquante minutes.

Reconstruire et se reconstruire ?

Le dernier dvd offre quant à lui un regard étonnant sur l’après-guerre. Les Camps de concentration nazis (Georges Stevens, 1945) et Le Procès de Nuremberg (1946) font état de la volonté d’après-guerre de raconter les horreurs et les exactions tout autant que d’en garder une trace. Les images des Camps de concentration nazis serviront de preuves pour le procès de Nuremberg. Le film montre d’ailleurs deux déclarations certifiant la véracité des faits. Il s’agit véritablement de montrer dans ce film : les lieux, les corps, ce que l’on savait du fonctionnement… Le film se fait souvent assez silencieux face au choc des images. Avant d’être projeté aux Américains, le film a d’abord été montré aux populations allemandes qui vivaient à proximité des camps de concentration qu’on leur a fait visiter. De la propagande pour les Américains, le projet s’achève en témoignage de l’histoire et force culpabilisatrice pour l’ennemi. C’est sans compter l’éternel poil à gratter de John Huston qui réalise avec Que la lumière soit (1946) un dernier documentaire sur les troubles d’après-guerre des soldats américains. Il tourne dans un hôpital militaire auprès des patients et des médecins : tremblements convulsifs, dépression, quasi tétanie, amnésie… sont le quotidien des soldats. Après-guerre le combat continue encore et l’Amérique est loin d’avoir pansé ses plaies. Même constat que pour Pearl Harbour, ce n’est pas vraiment l’image de l’armée, de la guerre, du pays qu’il faut véhiculer, le film est censuré et le reste jusqu’en 1980.

 


Thunderbolt
, William Wyler (1944)

Document sur la guerre, L’Amérique en guerre est surtout un témoignage exceptionnel sur un Etat en train de construire son image pour les siens et pour le monde. Chaque film vaut autant, si ce n’est plus, comme trace des combats et de l’Histoire que pour la confrontation entre une vision d’Etat et celle personnelle du réalisateur. Certaines têtes tombent, mais ces films, moins connus que leur succès hollywoodiens, apportent ainsi un éclairage différent sur leur carrière. A tout point de vue, L’Amérique en guerre, c’est autant l’Histoire que l’histoire du cinéma.

Bonus : Avec quatorze de films, il ne reste pas beaucoup de place pour les bonus. Seul un très bon livret, écrit par le journaliste et historien Frédéric Laurent, permet d’éclairer un peu les films en revenant sur leur histoire, le rapport des réalisateurs à la guerre et les circonstances de tournage.

 


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