Coffret DVD : « L’Age d’or du Cinéma japonais » (1935-1975)

Article écrit par

Une nébuleuse aux myriades de satellites explorable dans la galaxie d’un infini cinématographique.

Le bonsaï qui cache la forêt

A l’évocation de la cinématographie japonaise, l’image d’une arborescence extrêmement peuplée et féconde nous vient immédiatement à l’esprit. Dans cet archipel où l’arbre n’est qu’un maillon d’une trame d’éternité, l’arbre généalogique de vie cinématographique japonaise est luxuriant comme sa végétation. C’est le bonsaï qui cache la forêt. On songe à un immense polypier tentaculaire aux ramifications insoupçonnées. Ce coffret vient à point nommé répertorier minutieusement la somme de ses créateurs dans leur individualité.
 

 

Une page folle, Teinosuke Kinugasa

Un cinéma japonais balbutiant renaît de ses cendres
L’invention des frères Lumière débarque en 1897 dans cette île d’extrême-Orient traversée de secousses telluriques dont le tremblement de terre de Tokyo de 1923 en constituera le fait culminant. Le cataclysme emportera 100 000 victimes ; ravageant dans son sillage les studios de production cinématographiques et réduisant à néant bon nombre des celluloïds existants. Un cinéma japonais balbutiant devait toutefois renaître de ses cendres et Kyoto devenir le haut lieu de cette industrie du divertissement.

Si l’on excepte quelques images documentaires immortalisant les geishas des restaurants traditionnels du quartier tokyoïte Shimbashi, les films des débuts du muet transposent pour une large part l’esthétique théâtrale kabuki dont Promenade sur les feuilles d’érable (Momijigari) en constituerait le tout premier fleuron (1899) recensé.

Les résistances corporatistes tenaces au sein de l’industrie cinématographiques expliquent en partie pourquoi le muet japonais perdurera au-delà des années 40. D’autres inerties jouèrent un rôle prépondérant qui scindèrent le cinéma japonais en deux clans dans un premier temps irréductibles.

 


La porte de l’enfer, Teinosuke Kinugasa


Traditionalistes et modernistes

D’un côté, les traditionalistes se voulaient les plus âpres défenseurs et partisans du film d’époque ou film à costumes (jidaï-geki) . De l’autre, les modernistes considéraient que le théâtre traditionnel était un genre tombé en désuétude et prônaient un théâtre contemporain : « shimpa » ou « shingeki » .Ces derniers donnèrent naissance à son avatar cinématographique : le gidaï-geki , film du quotidien nippon.

Dans l’entre-deux, certains cinéastes fondateurs tels Teinosuke Kinugasa qui remporta la palme d’or à Cannes pour La porte de l’enfer (1953), produisirent des œuvres expérimentales inégalées depuis et qui frappèrent les esprits par leur maturité visuelle à leur redécouverte bien des décades plus tard auprès de collectionneurs entichés ou de forains peu avisés. On pense notamment à Une page folle (kurutta ippeigi, 1926) .

Les deux âges d’or du cinéma japonais

L’industrie japonaise cinématographique aura ainsi connu deux âges d’or consécutifs : celui des années 30 auquel la défaite du Japon le 15 août 1945 consacrera l’apogée tout en lui portant le coup de grâce et celui des années 50 qui absorba toutes les innovations techniques : couleur, cinémascope, vistavision… mais qui fut amené à péricliter malgré sa grande prolixité . En effet, 1953, avec l’avènement des télévisions dans les foyers nippons, marquera une nette baisse de fréquentation des salles jamais démentie depuis lors.
 


Contes cruels de la jeunesse, Nagisa Oshima

Une recension monographique du vivier des réalisateurs japonais

Ce splendide objet d’édition que constitue le coffret de l’âge d’or du cinéma japonais embrasse un panorama cinématographique extrêmement diversifié grâce à une pertinente et exhaustive recension monographique des réalisateurs japonais couvrant plusieurs décennies et une remarquable longévité pour beaucoup d’entre eux.

Ce cinéma essaime large de genres en sous-genres : jidaï-geki, shomingeki, shoshimin-geki, chambara, yakuza,keri-geki, kinu-geki… Un glossaire indexé est là pour baliser la recherche lexicale du cinéphile. La recension par réalisateur est la seule somme envisageable, le seul fil d’Ariane pour ramasser un corpus d’une telle ampleur et d’une telle densité.

L’idée de compiler par capillarité cet inextricable dédale de créateurs cinématographiques (une centaine) est une entreprise d’envergure qui s’imposait tant cette mythologie cinématographique est foisonnante et novatrice . Cette somme colossale constitue un vade-mecum indispensable à tout cinéphile avide de s’orienter au-travers d’une planète aux multiples facettes gravitationnelles. Comme l’herbier l’est à l’herboriste toutes proportions gardées.

Le lecteur curieux, en cicérone averti, se fraie lui-même une voie d’accès sans besoin pour autant d’élaguer ni de jalonner le parcours. La somme permet des recoupements, des passerelles, des enjambements reliant les efflorescences entre elles comme dans un jardin japonais suspendu.

Ainsi est-on surpris d’apprendre au détour d’un chapitre le concernant au titre de réalisateur d’un unique film : L’héritage des 500 000 que Toshiro Mifune, star internationalement adulée de l’empire du soleil levant, se contraignit à être un cinéaste soucieux de ne pas déplaire à l’équipe de tournage et quelque peu décontenancé par sa double casquette décidément trop étroite d’acteur-réalisateur.

Où l’on apprend au détour d’un autre chapitre que Mikio Naruse, réalisateur de Nuages flottants est « un cinéaste de l’indécence ». Nobody’s perfect. Mais le raccourci récurrent dans l’article monographique, par ailleurs bien fait, détone et ne cadre pas avec l’auteur timoré ô combien inspiré de Une femme dans la tourmente ; tout en contrition et en déférence par rapport à la gent féminine et fidèle à la Toho à qui il se dédia en infatigable artisan toute sa vie durant.

Difficile de refermer ce bel opus japonisant sans (re)voir séance tenante la sélection judicieuse de films qui l’illustrent. Depuis les langueurs empreintes de nostalgie de Une femme dans la tourmente (1964), inédit narusien amplement commenté dans nos colonnes, pour boucler la boucle avec les Contes cruels de la jeunesse (1960) de Nagisa Oshima produit par la Shoshiku et qui prélude à un renouveau marquant des genres. On ne peut qu’attendre l’anthologie suivante (1975 à nos jours) qui sait pour de prochaines étrennes.

Coffret L’Age d’or du Cinéma japonais (1935-1975). Dictionnaire des cinéastes japonais. 6 dvds incontournables édités par Carlotta.

Image d’en tête : Une Femme dans la tourmente, Mikio Naruse


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi