Coffret Carlotta Allan Dwan

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La sortie du coffret Carlotta consacré à Allan Dwan permet de se pencher sur l’un des maux minant actuellement le cinéma hollywoodien d´entertainment : la disparition de l´artisan.

En effet, aujourd’hui, les grands films de genre américains sont animés par deux catégories de réalisateurs : les authentiques génies, capables de mener à bien des projets mastodontes, tels James Cameron, Sam Raimi ou Ridley Scott, et les tâcherons, incapables de donner ampleur et efficacité à des sujets potentiellement prometteurs. Au milieu, pas grand chose. C’est précisément dans cet entre deux constitué des petits maîtres au bagage technique impeccable, dénués de visions d’auteur mais capables de mener tout type de projet à bon terme, que réside la haute tenue des productions de l’Âge d’or hollywoodien. Aujourd’hui, les quelques réalisateurs de ce calibre sont relégués à des projets indignes (tel Jonathan Mostow, qui a sauvé le récent Clones par son seul savoir-faire) ou remisés au placard comme John McTiernan. Où sont les Richard Fleischer et les Robert Wise d’aujourd’hui ? Certainement pas dans le dernier clippeur parachuté (même si quelques grands tels que Fincher ou Aronofsky ont pu en émerger), faisant presque regretter le temps où les réalisateurs apprenaient leur métier en démarrant coursier de studio, pour pouvoir s’élever des années plus tard à la tête de grands films.

Allan Dwan représente à lui seul toute cette mutation. Sa carrière monumentale s’étend de l’émergence à la chute du système des studios. Sa grande période, dont les vestiges restent à exhumer, est sans conteste celle du cinéma muet, pendant laquelle il inventa l’imagerie du cinéma d’aventure moderne dans les films de Douglas Fairbanks, et réalisa ses œuvres les plus personnelles et célébrées comme Stage Struck ou A society Scandal. Son aura se fera moins prestigieuse à l’arrivée du parlant, mais il continuera à apporter son savoir-faire et sa science de la narration à des projets aussi divers que les adaptations de Heidi avec Shirley Temple ou des grands films historiques comme Suez en 1938. Le coffret de Carlotta s’attarde sur la toute dernière période du réalisateur, celle de la collaboration avec une RKO sur le déclin et étrangement la plus connue et chérie des cinéphiles français. Entouré du producteur Benedict Bogeous (entrepreneur reconverti dans la production de films et à la personnalité rocambolesque) et de collaborateurs essentiels comme le directeur photo John Alton et le compositeur Louis Forbes, Allan Dwan va délivrer durant quelques années une floppée de grandes réussites de série B au charme toujours actif.

Le western est le genre phare représenté dans le coffret, avec pas moins de quatre films. Premier film réalisé au sein de la RKO, Quatre étranges cavaliers (1954) est probablement le meilleur du lot. Un début fulgurant avec l’arrivée de quatre cavaliers à la mine patibulaire, venus troubler le mariage du héros joué par John Payne. Leur meneur semble avoir un compte personnel à régler mais demeure trop hargneux et menaçant pour être ce qu’il prétend, un US Marshal. Dans son rôle de méchant, Dan Duryea, manipulateur au regard fou, impose une présence menaçante à souhait. Le nom de son personnage, « McCarthy », renvoie à un des thèmes sous jacents du film. Le héros, citoyen respectable apprécié de tous, est soudain objet de suspicion aux yeux de ses amis qui se mettent à douter de lui, pour finalement le traquer impitoyablement comme un vulgaire criminel. John Payne est parfait, affrontant tous les éléments qui se liguent contre lui, mais n’abandonnant jamais, déterminé à prouver son innocence. 1h17 à peine, menées tambour battant par Dwan, qui multiplie les rebondissements et les coups de théâtre pour culminer dans un final cinglant où Payne renvoie à ses « amis » leur honte de suiveurs, les vrais visages de chacun s’étant dévoilés.


Réalisé la même année, La Reine de la prairie est tout aussi bon. Le scénario
très habile place Barbara Stanwick, jeune propriétaire spoliée de ses bêtes et de ses terres, entre deux feux : le propriétaire peu scrupuleux campé par Gene Evans et son associé, un guerrier indien corrompu et violent. Pour l’aider, un jeune chef indien et Ronald Reagan dans un rôle ambigu. Une narration trépidante et bourrée de péripéties : l’attaque nocturne des Indiens Pieds Noirs entraînant la fuite massive du troupeau est un moment très spectaculaire et le film ne perd jamais ce rythme. Barbara Stanwick offre une grande prestation sous les traits d’une femme déterminée et prête à tout pour assouvir sa vengeance et récupérer son dû. Sa relation avec le chef indien est plutôt bien amenée mais, censure de l’époque oblige, le film ne s’autorise pas la love story interraciale attendue, en greffant une autre assez artificielle sur la toute fin, autour du personnage de Reagan. Vraie femme d’action n’hésitant pas à tirer dans le tas quand les choses se gâtent, ou jouer de ses charmes pour obtenir des informations : un beau personnage dans la lignée (en plus attachant) de celui qu’elle tient dans 40 Tueurs de Samuel Fuller.


Autre jolie réussite, Le Mariage est pour demain, réalisé en 1955. Ce beau western tient grandement à la solide et poignante relation d’amitié qu’il dépeint. D’un côté, un joueur de poker solitaire et individualiste, joué par John Payne, et de l’autre, un brave type avenant et droit incarné par Ronald Reagan. Dwan est particulièrement inspiré pour décrire le lien solide qui se noue entre les deux hommes, après que Reagan ait sauvé la vie de Payne, notamment à travers une belle scène où les deux sont en cellule. Dwan les sépare visuellement en plaçant un barreau au milieu du cadre, avant de les filmer progressivement en plan d’ensemble côte à côte, lorsqu’ils sympathisent réellement. Les conflits entre les deux se résoudront également par le respect mutuel qu’ils éprouvent, comme lorsque Payne éloignera une croqueuse d’hommes ayant mis le grappin sur Reagan. Le cadre offre un contraste violent avec cette ville de chercheurs d’or où les plus bas instincts peuvent ressurgir à tout moment. Le scénario simple et direct offre une intrigue très bien tenue et équilibrée. Le lissage typiquement hollywoodien (la maison de jeu de Rhonda Fleming, acquise on ne sait comment, alors que toute la disposition évoque ouvertement une maison close, se transforme en un salon pour filles à marier) et quelques raccourcis hasardeux (l’arrivée invraisemblable du shérif à la fin) le rendent cependant moins indispensable que les films précités.

Il en va de même pour Tornade (1954, quel rythme de production tout de même !), en dépit d’éléments assez étonnants dans le western hollywoodien : le cadre de la Californie encore espagnole, une violence assez prononcée (le massacre de la famille, le héros provoquant ses adversaires au poignard durant sa vendetta) et un récit de vengeance préfigurant le western spaghetti ou encore le Josey Wales d’Eastwood. La concision du film (1h20 à peine) est une qualité et un défaut, avec un début très emballant, des personnages parfaitement brossés et une action en place dès les vingt premières minutes. Certaines sous-intrigues assez bâclées (l’amitié entre Cornel Wilde et le shérif joué par Raymond Burr, sa relation avec la belle sœur) et surtout la conclusion où l’instigateur des méfaits n’est pas puni à l’écran, sont néanmoins assez frustrantes. Autre souci : Cornell Wilde, peu coutumier de ce genre de rôle, n’est pas très convaincant en héros vengeur et semble bien lisse. Mais cet aspect se marie assez bien au semblant de morale hollywoodienne servi en guise de conclusion, et apporte une forme d’aura positive et rédemptrice au héros, malgré les tueries qu’il a orchestrées.

La vraie pépite du coffret semble pourtant être le légendaire Deux rouquines dans la bagarre (1956), adapté d’un roman de James Cain à la réputation peu flatteuse, flamboyant et sulfureux film noir. Le film développe une intrigue typique de film de gangsters, autour d’un redoutable caïd tentant de maintenir sa mainmise sur la ville face à un candidat à la mairie vertueux. La mise en place des enjeux est classique et bien menée, mais ce sont  les passions bien humaines qui vont prendre le dessus. Les deux sœurs Rhonda Fleming et Arlene Diehl vont se retrouver mêlées à ses luttes de pouvoir et de corruption, notamment par l’entremise du personnage ambigu et ambitieux campé par John Payne. Malgré les foudres de la censure, l’ambiance sexuelle est palpable et assez inoubliable. La sage et prudente June, incarnée par Rhonda Fleming, est contrebalancée par des tenues sensuelles mettant diablement en valeur ses formes généreuses tandis qu’Arlene Diehl campe un personnage kleptomane et névrosé à l’attitude terriblement aguicheuse et provocante. En point d’orgue, la fameuse scène du canapé, laissant à un intrus l’occasion de voir ses jambes lorsqu’il entre dans la pièce. Les postures suggestives et le regard de braise de l’actrice compensent largement ce que Dwan n’a pu se permettre d’inclure. Le technicolor fabuleux de John Alton (les deux stars féminines sont plus rousses que rousses, une particularité de beaucoup de femmes chez Dwan) apporte une flamboyance peu coutumière au film noir, exacerbant les sentiments et la violence là aussi bien plus appuyée que le tout venant du genre,  tel le dérangeant face à face dans la maison de plage, ou encore l’éditeur et son cadavre défenestré.

Pour finir, deux petites sucreries charmantes pour les amateurs de films d’aventures exotiques et désuets. Les Rubis du Prince Birman (1955) est une excellente série B d’aventures réalisée par un Allan Dwan qui fait une nouvelle fois des miracles avec des bouts de ficelle. Le film possède une facture visuelle très impressionnante malgré un budget dérisoire. Recyclant une partie des décors du film Le Conquérant de Dick Powell, Dwan et son équipe, par une meilleure utilisation, rendent paradoxalement le film bien plus abouti que la superproduction qui valut son cancer à John Wayne. Composition de plan grandiose (l’assaut nocturne sur le temple bouddhiste est fabuleux) photo de toute beauté de John Alton, jungle de studio foisonnante et décors luxuriants, même l’utilisation de stock shots animaliers est faite avec maestria pour un affrontement avec un tigre très efficace. En revanche, le film pêche par le faible nombre de scènes d’action, manquant d’ampleur même si elles ont été réalisées avec savoir-faire (notamment l’assaut final sur la ferme de Barbara Stanwick). Le scénario, remarquable, rattrape ce petit défaut avec un Robert Ryan ambigu (son passif filmique en héros comme en ordure participe de cette ambiguïté), traqué pour un meurtre dont il ne se défendra jamais, le début du film le montrant sous un jour sombre avec foule d’actes violents et répréhensibles. La suite illustre pourtant la vraie noblesse du personnage, lorsqu’il aide le policier venu l’arrêter (campé par l’anglais David Farrar) face à des assassins, ou les sentiments qu’il montre à l’égard de Barbara Stanwick, notamment le final où il se rend pour l’épargner. La conclusion apportera bien sûr une explication habile et bien trouvée à cette situation de départ.

La Perle du Pacifique Sud est un des Dwan les plus décriés (par l’auteur lui-même qui renie le film en bonus) mais s’avère finalement assez sympathique. Une chasse au trésor amène un trio de filous, composé de David Farrar (méconnaissable en marin avide au visage buriné), Dennis Morgan et son ex, incarnée par la divine Virginia Mayo, à investir une île cachée et paradisiaque pour mettre la main sur des perles gardées jalousement par des indigènes. Dès le premier plan tout est dit : Dennis Morgan se réveille les yeux flous sur la paire de jambes somptueuses de Virginia Mayo. Nous n’aurons d’yeux que pour elle. Se faisant passer pour une missionnaire, elle est chargée d’infiltrer l’île et d’amadouer les habitants afin de trouver la cachette des perles. Pourtant, elle est rapidement gagnée par la quiétude et la beauté des lieux, ainsi que par la nature simple et paisible de ses habitants, au point de ne plus être sûre de vouloir commettre le forfait avec ses complices. Une histoire simpliste certes, mais vraiment bien traitée. En tout cas durant une bonne moitié de film, consistant à montrer l’évolution de Virginia Mayo, passant de la quasi traînée du début de film à une jeune femme découvrant les plaisirs d’une vie simple. Allan Dwan lui donne une aura sensuelle des plus vénéneuses, la filmant sous les angles et dans des situations ô combien érotiques, comme lorsqu’elle se fait voler ses vêtements et se voit contrainte de dormir nue sous sa couverture. La très courte durée du film (1h20 à peine) sert bien le début percutant, démarrant au quart de tour (nous sommes sur l’île au bout de quinze minutes), mais gâche un tantinet la dernière partie par des raccourcis laborieux – alors que le développement était excellent jusque là et un happy end qui tombe comme un cheveu sur la soupe. Visuellement, c’est une nouvelle fois extraordinaire. Le film fut tourné pour un budget minable sur une plage de Palm Springs décorée de palmiers en plastique (et quelques stock shots de la deuxième équipe filmés à Tahiti). Le tout est photographié (John Alton a encore fait des miracles) et cadré avec un tel brio  que l’illusion est complète. On ne doute pas un seul instant que l’on est dans un coin reculé et sauvage du pacifique sud. Prodigieux.


Bonus : Carlotta a une nouvelle fois fait un travail exceptionnel, documenté et fourni. Au programme donc, une interview d’époque entre Allan Dwan et Peter Bogdanovich, ce dernier intervenant ensuite individuellement sur son rapport au réalisateur. Les deux interventions du scénariste hollywoodien Robert Brees sont assez remarquables, ainsi que les deux documentaires s’attardant sur la carrière de Dwan et s’appuyant sur les interventions de collaborateurs toujours vivants. Un seul détail posera problème aux puristes : le format. Les films présentés dans le coffret sont au format 1.77 alors qu’ils furent à l’origine filmés en 1.37 et projetés en 2.00. Un joli mic mac qui occasionne à l’écran une perte d’image (au demeurant splendide travail de restauration) plus ou moins conséquente selon les films en haut, en bas et sur le côté de l’écran.



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