Dans les égouts personne ne vous entend crier
Jeté dans les toilettes après avoir été adopté par une enfant, un charmant petit alligator va atteindre par la suite des proportions gigantesques dans les égouts où des scientifiques peu scrupuleux rejettent de la testostérone ou tout autre produit de synthèse. Construits tous deux sur ce pitch simplissime, totalement dénué de sous-texte écologique, Alligator 1 et 2 s’inscrivent dans la grande tradition des spectaculaires combats chasseurs-prédateurs aquatiques. Sans aucune intention de lorgner du côté de Jaws (Les dents de la mer, Steven Spielberg), L’incroyable Alligator, sorti en 1980, profite de la vague sanglante de Piranhas (Joe Dante, 1978), du même scénariste, John Sayles, pour tenter de grignoter une part conséquente du box-office. Afin de donner corps au tant attendu jeu de mastication, Lewis Teague privilégie les scènes en immersion, joue très astucieusement sur les différentes échelles de plan, baignant le tout dans la pénombre des égouts ou dans les faibles néons de la ville. Ainsi, aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, le monstre à mâchoires mécaniques a encore bien de la gueule, même si ses parcimonieux déplacements en extérieur souffrent visiblement d’une certaine rigidité. Onze ans plus tard, en 1991, Alligator II, qui se targue pourtant de présenter une version mutante encore plus inquiétante du caïman, sait se montrer tout aussi humble en termes d’effets spéciaux. Comme son prédécesseur, John Hess, s’appuie sur un montage nerveux mais jamais expéditif pour offrir toute une ribambelle de proies faciles à son insatiable reptile. Qui plus est, une bonne giclée de sang face caméra fait parfois bien plus d’effet qu’un artefact plus dispendieux. Depuis toujours, le cauchemar de tout chasseur est de prendre le place de sa proie. Avec Alien (1979), Ridley Scott a exacerbé sa vulnérabilité dans un espace confiné et sinueux. Avec un alligator aux trousses, les égouts se transforment vite en enfer pour tous ceux qui ne trouvent pas très rapidement une bouche de sortie.
De B à Z
Les deux opus séduisent par leur efficacité et leur sens du rythme. En 90 minutes, on n’a pas le temps de tergiverser. Contrairement à un grand nombre de films d’horreur qui retardent le plus possible l’apparition du monstre pour faire monter une pseudo tension, ici, spectateurs et personnages comprennent très rapidement à qui ils vont avoir à faire. Place à la chasse, l’ombre et la proie. Alligator 1 prend des allures d’une très solide série B policière. Un flic, à l’allure peu conventionnelle, obsédé par son enquête, et surtout en pleine crise existentielle suite à un passé douloureux qu’il n’arrive pas à oublier. Dans la peau du flic (David Madisson), Robert Forster surnage grâce à un savoureux dosage entre désinvolture et tension. Au vu de sa performance, on peut s’interroger sur les raisons qui l’ont empêcher de prétendre à une carrière plus riche par la suite. Il a fallu attendre Quentin Tarantino pour le voir dans un rôle digne de son talent : Max Cherry, le chargé de caution dans Jackie Brown (1997). David Lynch fera également appel à lui quelques années plus tard dans Mulholland Drive (2001) puis dans Twin Peaks the return (2017). On appréciera également une atmosphère « naturaliste »qui n’est pas sans rappeler celle de Serpico (Sidney Lumet, 1974), pour le décorum des rues et celui du poste de police. Le récit sentimental qui se greffe au récit tient également la route. De quoi susciter pleinement l’empathie. Alligator II, repart sur les mêmes bases policières, toujours sur fond de corruption politique. Mais sur un ton beaucoup plus léger, pas toujours drôle. Décomplexé, le film est à l’image de ses personnages de pacotille ; flics, voyous, et chasseurs spécialisés aucunement crédibles mais très efficaces pour mettre en valeur l’indestructible machine à broyer. Cela réjouira les nombreux amateurs de série Z. Le coffret nous offre donc ainsi une double dose de plaisir reptilien.
Coffret Alligator 1 & 2, Carlotta, sorti le 7 mars 2023.