Coffret Alexander Mackendrik ou le souffle épique de la rébellion enfantine

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Le distributeur Tamasa réunit dans un coffret thématique trois films majeurs qu’Alexander Mackendrick a consacrés à l’esprit de rébellion enfantine, sujet qui tarauda, sa vie durant, la quête cinématographique exigeante de ce réalisateur émérite élevé par son grand-père.

La grande découverte de ce triptyque demeure sans conteste Sammy going south sorti aux Etats-Unis sous le titre « A boy ten feet tall » et quasi inédit en France. A même enseigne que Violence sur la Jamaïque (1965), ultime opus du metteur en scène, qui traite de la flibuste et aborde en substance ce thème de l’enfance rebelle récurrent dans l’oeuvre de Mackendrick,il ne connaîtra pas le retentissement escompté auprès du grand public et hâtera la reconversion du réalisateur dans l’enseignement cinématographique en 1969.

Aussi mérite-t-il qu’on s’y attarde. Pour mémoire, Mandy (1952), film iconique attendrissant sur les affres d’une jeune sourde-muette vers la guérison, a déjà fait l’objet d’une analyse dans nos pages lors de sa sortie en salle en avril 2017. Quant à The Maggie (1954), pur avatar de la comédie cocasse et pittoresque des années 50, le film est amplement contextualisé dans notre récente recension : l’âge d’or de la comédie Ealing à l’honneur.

Découvrir le monde avec le regard impétueux de l’enfant-adulte : Sammy going south


Sammy going south
est un film sur la perte d’innocence originelle où le présent se conjugue avec le proche passé familial dans un éternel jaillissement porteur de deuil, d’errance et de reconstruction.

Le film déroule le grandiose du cinémascope. Il s’ouvre sur l’embrasement aéroporté de Port-Saïd, le 5 novembre 1956, au débouché du Canal de Suez nationalisé quelques mois plus tôt par le colonel Nasser, raïs d’Egypte. Sammy Hartland (Fergus Mc Clelland) est un jeune Britannique de onze ans destiné à rejoindre sa tante Jane, propriétaire d’un hôtel à Durban en Afrique du sud. Le raid éclair des forces coalisées israéliennes, britanniques et françaises frappe aveuglément et sans discrimination la population indigène et coloniale de l’enclave portuaire ; laissant Sammy, orphelin de ses parents biologiques, irrémédiablement livré à lui-même dans le tourbillon de ces hostilités larvées. Son périple jusqu’à Durban est jalonné d’épreuves initiatiques.

Sammy going south est un road-movie initiatique, un de ces périples d’apprentissage un peu trop empreints du mythe du bon sauvage jusque dans sa description des populations locales que le film traverse. A maintes occasions, Sammy consulte une boussole rudimentaire constituée d’une aiguille magnétisée qui s’aligne sur le champ magnétique de la terre. Hormis sa boussole, il n’a pour tout bagage que le bien-fondé de son seul instinct de survie. Aussi n’éprouve-t-il qu’une confiance mesurée envers les adultes qui émaillent sa route dérivante comme un filet de pêcheur et parsemée d’embûches. Pour des raisons spéculatives, les personnes de rencontre songent à sa préservation mais veulent toujours le ramener à son point de départ:le nord du continent africain et le dévier de son point d’arrivée : Durban à la pointe extrême de l’Afrique du Sud où il retrouvera sa tante Jane comme ultime point d’ancrage à la toute fin du film. L’enfant, frêle victime en détresse, déplace les perspectives comme il déplacerait des montagnes lui permettant d’exprimer toutes les virtualités qu’il porte en lui.
 


Sammy jeté en pâture à la loi du bush africain

Mackendrick met en scène une quête de filiation : c’est Zarathoustra qui expose comment l’esprit devient chameau, comment le chameau devient lion et et comment enfin le lion devient enfant dans une mue constante où ce dernier s’extrait de sa chrysalide pour devenir adulte. Dans une idiosyncrasie symbiotique avec la nature, Sammy se nourrit de sa propre lecture du monde agressif qui l’environne. Avec l’énergie du désespoir qui guide ses pas harassés,perdu dans le no man’s land de sa prime adolescence, il trace son chemin au hasard des rencontres fortuites qu’il fait sans ingénuité mais bien au contraire en déployant des trésors d’ingéniosité.

Sa route chaotique croise d’abord celle d’un trafiquant syrien mal intentionné pour qui il est une proie facile et qui veut souiller sa chair dans l’étendue du désert symbolisant la circularité et la perte de la mère. D’Eros couvrant ses yeux d’un bandeau, Sammy devient Thanatos cheminant vers Louxor vêtu comme un bédouin flanqué de deux ânes ; abandonnant dans son sillage et aux vautours la dépouille de son suborneur.

Une riche millionnaire en mal de maternité et surprotectrice (Constance Cummings) entend alors faire de Sammy sa chose exclusive. Ce dernier n’a de cesse de sortir des rets qu’elle lui tend comme le gibier indomptable pris à chaque fois par surprise mais qui parvient toujours à s’échapper par les mailles. S’ensuit alors la brève rencontre pacifiante d’un guide spirituel africain qui couve l’adolescent d’un regard de sagesse bienveillante.
 


L’apprentissage du petit-homme passe par la mort du roi des félins prédateurs

Enfin, sa rencontre inopinée avec un vieux baroudeur aventurier se livrant à la contrebande de diamants Cocky Wainwright (Edward G Robinson) est la péripétie conclusive tandis qu’il parvient au terme d’un circuit tortueux qui lui a ouvert les portes de la société des hommes. Figure tutélaire du patriarche, ce personnage à la bonhomie matoise est le seul à vouloir l’adopter sans rien exiger de lui en retour. En digne mentor, il parfait son éducation l’initiant aux rudiments de la chasse aux grands félins prédateurs. Sammy se voit confronté à l’épreuve de feu du rituel tribal de la chasse au fauve.

Bravant totem et tabous, il abat sans sourciller le léopard – étymologiquement le lion-panthère- réputé pour aller jusqu’au bout de sa traque meurtrière ; sauvant in extremis la vie à son protecteur. En arborant de façon ostentatoire la peau du plus rusé des félins, l’orphelin accède au statut de jeune adulte par le courage intrépide qu’il a révélé et son travail de deuil originel peut alors commencer. Ce rite de passage renforce son identité et sa détermination de petit homme tenace et combatif.

Dans ce film sublimé par le cinémascope, Alexander Mackendrick sait éviter l’écueil de trop verser dans le pittoresque de carte postale qui se rattache au film colonial. Aussi conjure-t-il dans des extérieurs luxuriants les vieux démons d’une enfance orpheline qui fut également sienne.

Dans sa problématique,la narration se situe au croisement de Robinson Crusoé, version Michel Tournier qui, après avoir goûté aux grands espaces se refuse à rejoindre la civilisation pour en apprivoiser la sauvage innocence, et Jonathan Livingstone le goéland. Entre le mythe du bon sauvage pacificateur et celui de l’adolescent qui apprend à « voler de ses propres ailes » pour sa survie. Mais comme disait Nietsche : « ce n’est pas du premier coup d’aile que l’on conquiert l’envol ». Et parfois l’on se brûle les ailes à trop se rapprocher du soleil. Le récit emprunte sans conteste à l’épopée de Mowgli du Livre de la Jungle qui retrace cette même quête d’accomplissement de soi du petit homme avec la vie de camp en plein air, le leadership par la chasse et la peau totémique du léopard.

Sans nul doute, le réalisateur trouve-t-il matière dans le roman éponyme de W.H. Canaway à alimenter une insatiable quête identitaire de soi-même. Dans son format du cinémascope associé aux tonalités fauves et mordorées du celluloïd Eastman color, le chasseur d’images qu’il est déroule le safari des pérégrinations tropicales de son héros en traversant successivement des paysages de déserts aux flamboiements pourpres d’aurore boréale, de savane frémissante de vie animalière, de statuaire égyptienne hiératique, d’arbres tropicaux gigantesques peuplés de macaques ricanant et batailleurs, de grouillements portuaires chargés de mystère et de tous les dangers des contrées d’un continent africain empli de majesté et de munificence scintillantes comme l’argile rouge de sa terre. Loin des stéréotypes à l’exotisme de pacotille, le film ne pouvait que marquer les esprits juvéniles de l’époque d’une empreinte indélébile.

L’enfant-léopard

« Donnez-moi six ans de la vie d’un enfant et je vous laisse le reste. La vie n’est rien qu’un fichu tourbillon. » Le mot est de Rudyard Kipling et le parcours initiatique de Sammy semble s’inspirer des canevas romanesques de l’écrivain britannique. A peine est-il arraché brutalement à sa famille, le jeune garçon, loin des conventions de l’enfance,compose avec une nature sauvagement agressive. Mackendrick se polarise sur les foucades de ce jeune animal rétif en quête d’une parenté de substitution. Il fixe sur celluloïd le regard éperdu, les yeux bleus celtiques sans cesse aux aguets où se lit, intacte, l’innocence effarouchée, apeurée et craintive du jeune faon mis en présence des dangers de la savane africaine qui deviendra à son tour prédateur en revêtant symboliquement la peau de son animal totem : le léopard à la fin du film. Le cinéaste alterne dans le format magnifié du scope paysages humains et paysages de faune et de flore qu’impressionne le regard scrutateur adolescent dessillant ses yeux d’un bleu intense de ciel azuréen.


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