Clip

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Un film fort et dérangeant sur l’hyperérotisation des ados, troublés par les sentiments mais lancés à corps perdus dans la vie sexuelle.

La réalisatrice serbe Maja Miloš attaque fort et s’engage avec son premier film, d’une justesse cinglante bien que choquante. Elle porte à l’écran une réalité qu’on préfèrerait parfois ne pas voir, pour conserver un peu de naïveté, quand les protagonistes ont perdu la leur. Rien à faire, Maja Miloš la balance en pleine face, impossible d’y échapper une fois le film débuté. La réalisatrice a ainsi poussé jusqu’au bout l’investigation dans un milieu d’adolescents hypersexués et hyperérotisés, troublés par les sentiments mais lancés à corps perdus dans la vie sexuelle, alors qu’ils sont à peine sortis de l’enfance. Par peur de s’exprimer, ces jeunes éprouvent ce que leur corps leur permet et foncent tête baissée – c’est souvent le cas de le dire – dans des expériences sexuelles banalisées et débridées, à la recherche de sensations fortes. Clip décrit via la réalité de certaines banlieues de Serbie une situation globale, retrouvée ailleurs dans le monde.

Maja Miloš s’attarde dans son film sur l’existence d’une de ces ados, Jasna, 16 ans. Jasna est en colère contre sa famille et son environnement, comme beaucoup d’autres à son âge. Incomprise, elle tente tout pour en sortir et pour s’en distinguer, restant peu chez elle où elle n’est guère retenue et s’affichant dans des vêtements qui ont désormais pour fonction de dévoiler la peau plus que de la couvrir. La réalisatrice installe ici une atmosphère où l’autorité sous toutes ses formes a déjà abdiqué et où les ambitions semblent dès cet âge vaines. Seuls les excès et la débauche bousculent un peu ce quotidien asphyxié. Mais malgré son exaspération et son ennui, Jasna a aussi un cœur qui s’impatiente, cherchant par tous les moyens à attirer le regard de Djole. Elle est prête à tout, quitte à suivre les étapes dans un ordre qui paraît illogique. C’est ainsi sur ces gestes, à rebours de l’amour, que la mise en scène insiste. Il semble plus facile à Jasna, d’après les modèles auxquels elle a accès, de s’approcher de Djole en lui faisant une fellation plutôt qu’en l’embrassant. Elle préfère ainsi dévoiler son corps avant ses sentiments. Leur relation est alors inévitablement chaotique, elle oscille entre intérêt et dédain, baigne dans la violence et rejette la tendresse. Jasna et Djole se réfugient dans des relations normées, imposées par les représentations qui les entourent.
 
 

 
 
Si Clip verse dans le tape-à-l’oeil, comme les fringues fluo de ces jeunes filles plus trop en fleurs, il ne se vautre pas dans un voyeurisme purement gratuit. Certaines scènes, nombreuses, révèlent ces adolescents dans des postures provocantes. Le film montre et ne fait pas que suggérer pour être politiquement correct. Il place le spectateur face à cette sexualité exacerbée à laquelle les ados sont eux aussi exposés et à laquelle ils font référence. Pornographiques, les images portées à l’écran sont aussi celles des jeunes. Beaucoup proviennent du téléphone portable que Jasna brandit sans cesse, pour filmer ses ébats comme les fêtes auxquelles elle assiste. Elle enregistre tout comme pour amplifier l’expérience, pour ne rien rater. Elle participe elle aussi de la production des images de cette sexualité déjà omniprésente. La notion de clip du titre n’est donc pas anodine. Les images et les vidéos circulent rapidement entre les mains des jeunes et eux-mêmes se filment pour s’imposer dans la danse. Du clip de musique, où les paroles et les chanteuses poussent au libertinage, au clip porno, la frontière est mince et ces adolescents la franchissent sans peine dans ce film.

Tout comme Kids de Larry Clark (1995), Maja Miloš ne prend donc pas de pincettes avec Clip pour lever le voile sur cette jeunesse. Ce qui fait la force de son film, c’est une direction d’acteurs superbe, avec ces jeunes comédiens débutants. La cinéaste parvient également à définir un cinéma libéré, très expressif. Elle exhibe un art ancré dans son époque et n’hésite pas à provoquer la polémique afin que son talent s’exprime sans retenue. Rien d’étonnant alors à ce que Clip se soit distingué dans les festivals, comme à Rotterdam où il a gagné le premier prix en 2012.

Titre original : Klip

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Acteurs : ,

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Durée : 102 mn


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