Chroniques de Cannes 2021 : jour 8

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Plongée au coeur du Festival de Cannes 2021.

Le vent se lève, il faut tenter de vivre

La journée commença fort pour les courageux. A 8h30, en compétition et dans la grande salle Louis Lumière, un coup de poing russe entre cauchemar et alcool digne de Dostoïevski pour un film de presque trois heures. La fièvre de Petrov de Kirill Sebrennikov raconte l’histoire de Petrov affaibli par une forte fièvre, et qui se retrouve entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d’enfance de Petrov resurgissent et se confondent avec le présent… Sinon le festival de Cannes se poursuit mais un vent violent s’abat sur la ville qui nous fait penser à ces vers de Paul Valéry vraiment de circonstance : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre. » Tout le monde autour de moi accepte les files interminables, les fouilles et les contrôles de nos fameux QR codes. Après le terrorisme pour lequel le festival avait instauré depuis de très nombreuses années des contrôles sévères, voici qu’ils s’additionnent en raison de cette fameuse pandémie qui semble ne jamais vouloir cesser. Sommes-nous entrés en dictature, en tout cas celle de la santé et de l’hygiène ?

Les retardataires pouvaient se rattraper comme chaque jour et voir à 12h15 le film de Wes Anderson pour lequel les acteurs déguisés comme la famille Addams défilaient. Impressionnant. On pouvait aussi voir ou revoir à 18 h dans une salle plus petite, la fameuse salle Bazin, La croisade de Louis Garrel. A bien y réfléchir à tête reposée, ce n’est hélas pas une réussite. Même s’il démarre fort avec une idée intéressante presque à la minute, le film se termine vraiment en queue de poisson. Et il est trop court. Absence de budget ou panne d’inspiration ?

 

Le nouveau Farhadi et plein de mauvaises surprises

Ghareman d’Asghar Farhadi est très attendu aussi après la présentation ici même en 2018 de Todos lo saben qui ne m’avait pas particulièrement emballé. Iranien, ayant beaucoup tourné en France dont notamment Le Passé en 2013 avec Bérénice Bejo et Tahar Rahim. Au vu des réactions autour de moi, et de la lecture de la presse, il semblerait que le film soit une belle réussite. Je n’en parlerai que demain car je ne l’ai pas vu aujourd’hui et vais me rattraper demain matin.

Petite fausse note pour moi, je n’ai pas voir aujourd’hui le film de Valérie Lemercier, Aline. C’est dommage mais on se rattrapera au cinéma. Il sort bientôt et n’est pas en compétition à Cannes. Petit rappel, c’est inspiré de la vie de Céline Dion, sujet étrange voire baroque s’il en est. Québec, fin des années 60, Sylvette et Anglomard accueillent leur 14ème enfant : Aline. Dans la famille Dieu, la musique est reine et quand Aline grandit on lui découvre un don, elle a une voix en or. Lorsqu’il entend cette voix, le producteur de musique Guy-Claude n’a plus qu’une idée en tête… faire d’Aline la plus grande chanteuse au monde. Epaulée par sa famille et guidée par l’expérience puis l’amour naissant de Guy-Claude, ils vont ensemble écrire les pages d’un destin hors du commun. Dans sa robe de gala toute dorée et pas très seyante, Valérie Lemercier semblait à la fête et même très émue.

On attendait beaucoup de ce festival de fin de confinement, et des films tant espérés ont été projetés, mais pour ce qui me concerne, aucun emballement. Je serais bien en peine de dire qui sera choisi par le grand Jury. Il faut dire que je ne m’appelle ni Spike Lee, ni Mylène Farmer. Et je serais bien ennuyé. Ainsi les très attendus Benedetta et Annette m’ont vraiment déçu. Mais pour Titane, le nouveau film de Julia Ducournau, dont j’avais très moyennement apprécié en 2016 Grave, Prix Nespresso lors de la Semaine de la Critique puis couvert de prix un peu partout dont le prestigieux Louis Delluc. Avec Titane donc, vu en intégralité malgré une envie furieuse de fuir, elle pousse la provocation un peu trop loin avec cette sorte de Rosemary’s Baby trash, vulgaire et vain. Jouant avec les divers codes de la sexualité, du genre et du désir, elle parvient laborieusement à brouiller les pistes et à obtenir beaucoup de son actrice principale, Agathe Rousselle qui est une révélation même si le film n’est pas vraiment une réussite dans un mélange osé des genres pour aboutir à une sorte de grand-guignol qui met les spectateurs mal à l’aise. Une bonne dizaine se sont enfuis dès le début de la projection et on peut les comprendre. Les autres acteurs et actrices, dont ce pauvre Vincent Lindon sans doute mal conseillé par son agent, et Garance Marillier qui portait pourtant Grave sur ses frêles épaules.

Du coup, en comparaison, même si on peut le trouver agaçant par certains côtés, le nouveau film d’Arnaud Desplechin, Tromperie, présenté dans la section Cannes Première pourrait presque passer pour un chef d’oeuvre. Adapté du roman éponyme de Philip Roth qui a très longtemps fasciné le réalisateur, Tromperie ne trompe personne. C’est presque un beau film.

 

 

Portraits de femmes croisées

L’adaptation d’un livre au cinéma est toujours périlleuse, surtout si le réalisateur lui voue une certaine adoration. De plus, ici, Trahison est le récit d’un enfermement, d’une rêverie autour des femmes aimées, d’une sorte de travail dans un bureau de psychanalyste. La lumière et les images de Yorick Le Saux y sont pour beaucoup, évoquant par moment le beau travail d’Éric Gautier sur le set d’Intimacy de Patrice Chéreau (2001) puisque l’action se passe à Londres aussi. Sans oublier non plus le jeu des acteurs même s’il faut accepter comme préalable incontournable que Denis Podalydès puisse incarner un écrivain juif américain de génie, dévoré par une sorte d’érotomanie, et qu’il puisse vivre des après-midi de passion et de discussion enflammée avec Léa Seydoux. La pilule est un peu difficile à avaler, même si le réalisateur a pensé à modifier, ô très légèrement en lui noircissant les sourcils, le visage de l’acteur. Mais soit, poursuivons. Huis-clos, érotisme, manipulation, tous ces sentiments, toutes ces situations aboutissent à un long monologue, parfois passionnant, parfois ennuyeux pour définir un monde intellectuel des années précédant la chute du Mur. Un monde entre-deux, un monde-voyageur, qui s’étend entre l’Amérique (par téléphone), Londres, Paris et Prague pour des intellectuels bourgeois désoeuvrés qui s’amusent de la trahison et de la confusion des sentiments.

« Collection d’épiphanies »

Il est pourtant des moments qu’on n’est pas près d’oublier, notamment la prestation d’Emmanuelle Devos recluse dans sa chambre d’hôpital à New York et à qui l’écrivain téléphone. Elle est vraiment bouleversante dans ce rôle. A ce sujet, n’a-t-elle pas déclaré à Arnaud Desplechin : « J’adore Rosalie, c’est la seule à laquelle il arrive quelque chose, puisque je suis en train de mourir ». Les autres femmes sont aussi parfaites dans leur rôle, notamment Léa Seydoux qui, selon le réalisateur, « a le don de pouvoir avoir les larmes qui lui montent aux yeux comme un enfant en bas âge, et c’est une bénédiction. » Il faut dire qu’elle ne s’en prive pas, tout comme Anouk Grinberg qu’il a découverte surtout au théâtre, excelle dans les cris et chuchotements, pour illustrer sa souffrance d’épouse trompée et bafouée. Ce film est présenté sàus forme de fragments, en « collection d’épiphanies » comme le dit joliment Desplechin, entre Bergman et Kafka, le maître de Philip Roth, dont on aperçoit le portrait à plusieurs reprises et auquel le procès du film fait bien sûr référence. Finalement, Trahison s’avère être un bel hommage au livre qu’Arnaud Desplechin aime tant, mettant en scène un auteur amoureux des femmes, mais surtout de leur parole. « Là où d’autres auraient demandé que la femme fasse preuve de son excellence, Philip, lui, accueille chacun des mots de son amante comme un trésor. Un mari infidèle, un souci d’argent, une grosseur sur le col de l’utérus… Et cette attention modeste à l’intime, à la blessure la plus ténue, me bouleversait. »

Palmarès de la Semaine de la Critique

Journée somme toute assez bien remplie. Même si on rêve que le cinéma est mort lors de nos nuits agitées, on retourne à la charge, chaque jour, espérant une pépite. Du coup, je n’ai pas pu aller voir hélas le nouveau film musical et burlesque des frère Larrieux, Tralala, mais je vais tâcher de me rattraper demain. Bonne nuit mais chut, le jury délibère. Demain en effet, à 18h sera annoncé le choix du jury de la Semaine de la Critique, pour le prix Nespresso. Il est présidé cette année par Cristian Mungiu et, jeudi, à 17h ce sera la projection de l’heureux élu à la salle Miramar. On tâchera d’y être. Bonne journée, that’s all folks !


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