Chroniques de Cannes 2021 : Jour 10

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Plongée au coeur du Festival de Cannes 2021.

La Vedette de la Croisette

Elle est arrivée à Cannes, direction l’ACID et elle a fait un effet boeuf. Nous avions oublié d’en parler, voici qui est chose faite : Vedette est une vache. Vedette est une reine. Elle a même été la reine des reines à l’alpage. Mais Vedette a vieilli. Pour lui éviter l’humiliation d’être détrônée par des jeunes rivales, nos voisines nous la laissent tout un été. C’est là que nous avons découvert que toute vache est unique. Vous aurez compris qu’on ne peut aimer que Vedette, le film de Claudine Bories & Patrice Chagnard car toutes les stars ne sont pas sur deux pattes et certaines même sont très mélancoliques et attachantes sur leurs quatre pattes.

Dans le genre plus sérieux, on avait tous rendez-vous, enfin surtout ceux qui ont pu entrer dans la salle Bunuel, avec Marco Bellocchio, à qui le festival remettra une Palme d’honneur pour l’ensemble de sa carrière samedi soir. Mais c’est dommage car, dans un certain sens, ça vous aura fait louper la projection d’un beau film haïtien projeté dans le cadre d’Un certain regard : Freda de Géssica Généus. Freda habite avec sa famille dans un quartier populaire de Port-au-Prince. Ils survivent grâce à leur petite boutique de rue. Face à la précarité et la montée de la violence en Haïti, chacun se demande s’il faut partir ou rester. Freda veut croire en l’avenir de son pays. Dans la même section, à découvrir, du lourd. Ce film roumain Women do cry de Mina Mileva et Vesela Kazakova est un véritable patchwork de toutes les souffrances et tristesses que peuvent endurer les femmes en ce vaste monde, d’après une histoire vraie.. Une cigogne blessée, une femme en pleine dépression postnatale, une jeune fille confrontée aux stigmates du VIH, une mère qui cherche un peu de magie dans le calendrier lunaire… Sœurs, mères et filles se confrontent à leurs fragilités et à l’absurdité de la vie, au moment où de violentes manifestations et débats sur le genre déchirent leur pays, la Bulgarie.

Prières pour les pierres

Aujourd’hui, on ne s’est occupé presque que d’Un certain Regard et, quand on fait ce choix-là, on sait qu’on ne pourra pas voir les films en compétition officielle. Un choix cornélien, vous dis-je, conseillé seulement par son flair. A 11h, dans la même salle Debussy que les précédents, c’était la projection d’un film mexicain ambitieux, Noche de Fuego de Tatiana Huezo. Ambitieux certes car il veut dénoncer les cartels qui ravagent certains pays d’Amérique Latine, dont le Mexique même si c’est dans une moindre mesure que la Colombie. Mais son propos se teinte aussi d’une description du courage des femmes du village, du travail des enfants et de l’école ce seul encore qu’il faut protéger. Mais en fait, il y a dans ce première long-métrage de fiction de la documentariste Tatiana Huezo un peu trop de choses, quelquefois mal maîtrisées et son propos se perd, alors que le début du film est absolument passionnant, bien filmé. Et surtout très bien interprété, il faut souligner le talent des actrices et des jeunes filles parfois non professionnelles.

 

 

Son son et Jessica

Le petit dernier d’Apichatpong Weerasethakul pourrait créer la surprise cette année surtout si le président du jury se met à aimer la méditation et l’onirisme. Déjà palmé en 2010 pour Oncle Boonmee, il revient en force avec ce film aux multiples productions, notamment un cocktail parmi lesquels la Colombie, la France, le Royaume-Uni, le Mexique et bien sûr la Thaïlande, son pays d’origine avec la star Tilda Swinton assez méconnaissable châtain foncé, dans le rôle d’une femme perdue dans Medellin et qui entend un son qu’elle veut parvenir à faire identifier. On ne sait si elle représente la mort, la patience ou la folie qui nous ronge. Mais ce film envoûtant, très lent car plus que jamais monsieur Weerasethakul prend son temps. Des mauvaises langues pourraient dire qu’il nous le fait perdre, pourtant très peu de gens sont sortis pendant la projection, sans doute hypnotisés par les paysages et la voix magnifique de la Tilda. A moins qu’ils ne fussent endormis comme l’un des personnages du film dont le sommeil s’apparente à la mort. Ayant abandonné sa jungle et ses fantômes, le réalisateur revient avec encore plus de talent pour ce film étrange, biscornu, un ovni à la manière de celui qui quitte à la toute fin la forêt colombienne en lâchant ce son que chaque cherche. une Palme, pourquoi pas d’autant qu’on y croise Jeanne Balibar sans doute imposée par la coproduction français ?

Du coup, nous n’aurons pas vu le film d’animation japonais de Mamoru Hosoda, Belle, mais on vous le pitche vite fait : Dans la vie réelle, Suzu est une adolescente complexée, coincée dans sa petite ville de montagne avec son père. Mais dans le monde virtuel de U, Suzu devient Belle, une icône musicale suivie par plus de 5 milliards de followers. Une double vie difficile pour la timide Suzu, qui va prendre une envolée inattendue lorsque Belle rencontre la Bête, une créature aussi fascinante qu’effrayante. S’engage alors un chassé-croisé virtuel entre Belle et la Bête, au terme duquel Suzu va découvrir qui elle est.

Mais en fait, on se réservait pour le nouveau film de Nabil Ayouch qui risque de faire sensation car le réalisateur a un immense talent. Qu’on se souvienne entre autres de Whatever Lola wants (2008), Les chevaux de feu (2012), Much Loved (2015) et Razzia (2017). De plus, le Maroc n’a jusqu’à présent jamais vu un de ses films de fiction en compétition de la Sélection officielle. Ce soir, Nabil Ayouche et son équipe montent les marches pour défendre Haut et fort. Son film, oscillant entre fiction et documentaire comme cela semble être désormais la mode, montre la jeunesse de Casablanca prise entre religion, tradition et modernité. Comment s’en sortir ? Le hip-hop et le rap semblent une belle solution surtout lorsqu’ils sont enseignés par un professeur absolument charismatique. En effet, Anas Basbousi est absolument parfait entre humanité et détachement, dans ce rôle d’ancien rappeur devenu professeur dans une banlieue réputée assez traditionaliste de Casablanca qu’il va secouer pour toujours. Tous les jeunes, bien sûr non professionnels, sont absolument époustouflants. « Ce film doit être vu par le monde entier a déclaré Nabil Ayouch lors de la conférence de presse, pour faire connaître leur talent. » Son film, même si on n’aime pas trop le rap et la hip-hop culture, fait lever un espoir sur l’avenir du Maroc et celui du monde. On la tient notre Palme d’Or, car Haut et Fort coche toutes les cases : humanisme, lutte contre l’intégrisme religieux, message d’espoir, faux vrai documentaire, etc. etc. De plus, la musique est superbe et elle ne laissera pas insensibles Spike Lee et Mylène Farmer.

Demain, on vous parlera des derniers poids lourds de la compétition, notamment Joaquim Lafosse, François Ozon et Gaspar Noé, et autres merveilles en attendant le Palmarès de cette édition pleine de surprises (bonnes et mauvaises) !

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