Captive

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Jungle de cinéma.

Il y a, l’air de rien, derrière les modestes atours d’un filmage façon caméra embarquée, quelque chose de cosmique qui se met en jeu dans le dernier opus du Philippin Brillante Mendoza. D’une densité extraordinaire, celui-ci décline, plutôt qu’un fil narratif déroulé en droite ligne, une arborescence de propositions narratives et esthétiques. Captive est un film qui jamais ne cesse de s’enrichir, de prendre de l’envergure, déployant sans cesse de nouvelles configurations, entre groupes humains, entre individus, entre ceux-ci et le monde animal, végétal, minéral… Jouant de juxtapositions, croisements et même collisions de forces contraires, il organise un chaos vivant et complexe, au sein duquel chaque lien tissé, déplacé ou défait se trouve partie prenante d’un mouvement, ou plutôt d’un bruissement, qui entretient justement un souffle de vie dans la situation sans commune mesure que vivent les personnages.

S’inspirant des enlèvements de l’hôtel Dos Palmas à Palawan, commis en 2001 par le Groupe Abu Sayyaf, ainsi que d’autres prises d’otages ayant eu lieu aux Philippines, Captive envoie sa petite troupe de terroristes et d’otages crapahuter au milieu de nulle part, investissant, après quelques jours en mer, puis dans un camp retranché, une forêt où ils ne cesseront de progresser, en sortant parfois (pour se ravitailler, demander des soins…) avant d’y replonger, flirtant avec ses limites sans qu’on puisse jamais en appréhender la configuration. Les quelques scènes en bateau succédant à l’attaque de l’hôtel donnent très vite le ton : alors que la côte n’est plus visible, l’identique horizon visible de chaque côté abolit toute notion de direction. Il en sera de même concernant la progression dans la jungle. Impossible de se rendre compte si l’on tourne en rond, si l’on avance toujours un peu plus loin plus ou moins au hasard, si l’on suit une trajectoire déterminée à l’avance par les preneurs d’otages…

Pourtant ça avance. Ou plutôt, ça se déploie. Prisonniers et preneurs d’otages sont transférés d’une première et modeste embarcation à un navire de plus grande importance les attendant au large. Puis quelques informations sont livrées, donnant une première assise à un récit, et à des personnages jusque-là saisis dans l’instant et bousculés de l’hôtel et de la plage au bateau les emmenant au large, de panoramiques en travellings vifs et secs, précipités, brutaux, réalisés avec une caméra instable, d’allure journalistique, aspirée presque physiquement par l’évènement. Du camp où les otages sont débarqués dans un premier temps à la jungle dans laquelle ils s’enfoncent en compagnie de leurs ravisseurs, le film continue son cheminement de la sorte, se ménageant entre les marches forcées et les affrontements avec l’armée philippine des temps montrant le groupe changeant de forme, à la manière d’une fleur qui se replierait et se redéploierait chaque fois de manière différente.
 
 

La première ligne séparant clairement otages et ravisseurs est vite montrée comme mouvante. Les positions se modifient. Des liens sont tissés, parfois de force. Alors que les libérations contre rançon se négocient au cas par cas, des personnages disparaissent, exécutés ou libérés. D’autres, ramassés sur le chemin (les infirmières de l’hôpital), se joignent à la petite troupe. Les pas de côté deviennent la règle, donnant une tournure organique à la vie du groupe, avec ses flux, ses énergies, ses absorptions et ses rejets. Les situations se troublent (les balles perdues tuent d’ailleurs beaucoup dans ce film). Un otage se convertit. Une autre (le personnage d’Isabelle Huppert) se prend d’affection pour un de ses jeunes geôliers. Très vite, le cinéaste joue d’inversions – lorsque ce sont les otages, et non plus leurs ravisseurs qui se maintiennent alors tapis à moitié dans l’eau, qui doivent donner le change face aux questionnements suspicieux de l’équipage d’un autre bateau croisé en mer – et n’hésite pas à tirer partie du potentiel comique et transgressif de certaines situations – lorsqu’une Isabelle Huppert éberluée se retrouve avec un fusil entre les mains, alors qu’un de ses ravisseurs lui montre comment elle doit revêtir une couverture pour se changer en-dessous.

Déplacements, mais également substitutions, ponctuent le déroulé du film. Et c’est presque naturellement qu’une naissance vient y trouver sa place – l’accouchement (non truqué) survenant en pleine fusillade dans un hôpital en état de siège, la chair venant opposer sa vulnérabilité au métallique mitraillage des armes à feu. Ultime témoignage d’un désir de convoquer des élans fondamentaux et contradictoires pour faire exister au cinéma l’étincelle, permise ici par le montage, produite par leur rencontre. Une sorte de « big bang » philippin.
 

Titre original : Captive

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Durée : 122 mn


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