Bruegel, le moulin et la croix

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Une ballade sympathique, parfois ennuyeuse, dans l´une des plus célèbres toiles de Pieter Bruegel.

Perdu dans la toile

Lech Majewski donne littéralement vie à l’un des plus célèbres tableaux de Pieter Bruegel dit l’Ancien, Le Portement de Croix (1564). C’est à travers le parcours d’une douzaine de personnages, dont le quotidien et les pérégrinations croisent les derniers préparatifs et l’exécution de Jésus Christ, que nous parcourons le tableau en compagnie de Bruegel.

Mais c’est surtout par l’intermédiaire de ses croquis que le peintre explique à son mécène le rôle et le destin des quelques habitants dont nous suivons le sort et l’existence. C’est également une manière pour le peintre de nous exposer la portée humaine, historique et artistique de son œuvre.

Selon Bruegel, il faut prévisualiser le centre du tableau, tout comme une araignée va se représenter la place qui sera la sienne au centre de sa toile avant de la tisser.

Et c’est ainsi, une fois identifié le centre névralgique du tableau (Jésus), que notre regard se pose sur les autres détails du Portement de Croix. On croise Judas, La vierge Marie, des cavaliers rouges dans le rôle des romains, (ils sont en fait une allusion aux milices envoyées par le Roi d’Espagne en Hollande pour maintenir son autorité) et surtout un grand nombre d’artisans et de paysans dont le train de vie est fidèlement exposé par de très beaux décors invitant pour la plupart d’entre eux à considérer ces scènes de vie comme de véritables tableaux. Malgré la richesse des décors et le soin apporté à cette retranscription réaliste de l’époque, on s’ennuie à la longue. Le rythme est très lent, et il y a peu de dialogues. Un certain vide que vient combler (seulement pour les connaisseurs ou les amateurs d’art ?) le respect des thèmes du Portement de Croix : La passion du Christ, la Déploration, l’orgueil et la rébellion de l’homme contre l’ordre divin. Sans oublier un hommage à la méthodologie et aux enquêtes minutieuses et atypiques du peintre flamand, sous la forme de tableaux « animés », qui lui permettent de retranscrire fidèlement la vie de tous les jours.

Du théâtre sur fond bleu

Un décor simple, une centaine de figurants en costume, quelques animaux. Tout ce beau monde prend la pause, même si les animaux trichent un peu. On se croirait revenu dans la première version des Rois maudits (1972). Malheureusement Bruegel, le moulin et la croix ne possède pas le rythme et l’efficacité de l’excellente série d’après l’œuvre de Maurice Druon. Bien au contraire le film de Lech Majewski souffre d’une mise en scène plutôt statique, à l’image des habitants du tableau, condamnés par le peintre à n’être que des robots programmés pour telle ou telle activité, et rien d’autre (pas même le droit de parler !) Le privilège de la parole revient en priorité au peintre flamand, interprété par un Rutger Hauer bien fatigué, et à la Vierge Marie, à laquelle Charlotte Rampling ne prête que sa voix.

Le monde du théâtre se reconnaît aussi à l’utilisation intelligente du son : les coups de haches des bucherons (les troncs d’arbres serviront aux trois croix) se font entendre à des kilomètres à la ronde, et jusque dans la chaumière d’un petit couple. On se trouve bien dans un seul et unique grand décor qui allie sans défaut les dernières techniques d’incrustation sur fond bleu et des éclairages traditionnels. Mais la technique ne fait pas tout. Le Macbeth d’Orson Welles en est un exemple frappant. Cette pièce de théâtre filmée de l’intérieur sait nous faire oublier la pauvreté des décors par la qualité des dialogues, du jeu de ses acteurs et de la mise en scène. Bruegel, le moulin et la croix, ne réalise pas cet exploit. Même l’exécution d’un jeune paysan par les cavaliers rouges, voire les derniers instants du Christ, ne fait couler aucune larme.

Ars longa, vita brevis (L’art est long, la vie est courte)

Titre original : The Mill and the Cross

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Durée : 93 mn


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