Berlinale 2018 : Rencontre avec la réalisatrice Alessia Chiesa

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Premier entretien en direct de la Berlinale 2018 (15 février – 25 février), par l’envoyée spéciale d' »Il était une fois le cinéma », qui a rencontré la réalisatrice Alessia Chiesa

Alessia Chiesa signe son premier-long-métrage “El día que resistía” plein de sensibilité, un conte merveilleux où une maison abandonnée aux enfants est entourée par une foret qui devient un personnage à part entière. Rencontre avec cette réalisatrice, femme déterminée qui parle de l’enfance et comment se reconnecter avec l’enfant en nous.
 
Comment est née l’idée de faire ce film ?
Alessia Chiesa : Cela fait déjà un bon moment que j’ai commencé le processus. Le début était la fin de mon court- métrage en 2012. Je me suis dit, j’aimerais faire un long-métrage et je commençais à avoir des idées. Pour un concours d’un atelier d’écriture, j’ai élaboré un traitement d’une page seulement. Et j’étais sélectionnée. Alors je me disais que je devais avancer dans cette direction. Mais c’était beaucoup plus compliqué que cela. Et ensuite, j’ai fait un autre atelier en Argentine. Il y avait des bouts d’idées. Je savais très clairement dont je voulais parler, notamment cette notion de la sensation, de faire un film qui ne soit pas vraiment une histoire. Mon pari a toujours été de faire un film où on parle d’autre chose que d’une histoire.

Qu’est-ce qu’il y a derrière l’histoire ?
Alessia Chiesa : J’ai envie de faire du cinéma pour que les sensations prennent chair grace à l’image et au son, d’exprimer quelque chose que je ressens en moi. Aussi ma recherche, mon doctorat tournait autour de cette question: Comment le cinéma peut raconter autre chose que ce structuralisme d’un scénario. Le cinéma commence toujours avec un scénario, une histoire écrite, comme si le film pouvait être un bouquin. Mais le cinéma peut être autre chose. Alors c’est un film particulier qui est né dans le sens de la narration.
 

Pourrais-tu mettre des mots sur ces sensations que tu évoques ?
Alessia Chiesa : Des images, des sons… J’ai toujours eu une obsession avec mes souvenirs d’enfance, comme si je voulais aller les chercher. Mais je me rendais compte que c’était impossible. C’est comme si je voyais le bout du fil d’une boule de laine et j’avais envie de la tirer, mais je pouvais pas aller plus loin que le bout du fil. Alors faire ce film était un peu comme chercher ces boules de laine. C’était ma démarche créative, mon inspiration.
Et quand tu penses à cette boule de laine, quelles sensations sont attachées à elle ? L’amour, la nostalgie ?
Alessia Chiesa : Il y a tout ca, de la nostalgie, de la mélancolie, l’envie de retrouver cet amour d’enfance. Qu’est-ce qui nous lie aujourd’hui à cette enfance? Comment ca existe encore en nous? Je n’ai pas fait ce film pour parler que de moi, mais c’est un conte universel. On est tous aujourd’hui encore des enfants, sauf qu’on fait en sorte de ne pas l’être. Mais parfois on a du mal à se connecter à ce qui est essentiel. Avec l’age on met beaucoup de couches, et au final on pourrait croire trop à ces couches. Et c’est grace à film que j’ai réussi de me reconnecter avec moi, de me sentir plus à l’aise avec moi-meme, d’accepter l’enfant en moi.
Pour toi, l’enfance évoque un regard plus spontané sur le monde ?
Alessia Chiesa : Oui, ces sensations de peur, de nostalgie, toutes ces sensations difficiles surgissent spontanément. Il s’agit de ne pas juger trop ce qu’on est.

 

Comment se traduisait cette recherche dans ton travail avec les acteurs très jeunes ?
Alessia Chiesa : C’est exactement pour cette raison que je voulais faire un film qu’avec les enfants. Là mon coté intellectuel était très conscient du fait de ne pas avoir un scénario tout écrit. Si je veux que les acteurs non professionnels jouent dans le film, je ne peux pas leur imposer mon idée de l’enfance. Il faut qu’on fasse un compromis, il faut qu’on échange véritablement. Mon travail était alors de construire ce terrain de jeu et de leur donner envie d’y jouer avec moi. Moi, je leur racontais le film comme une histoire. C’était la seule façon de travailler pour moi, pour qu’il amène toute leur authenticité. Je cherchais à ce que leur enfance émerge. Dans quelques films on pourrait avoir la sensation que les enfants agissent comme s’ils étaient des adultes. Alors que je me suis dit que je suis incapable de dire comment un enfant “est”, car je ne suis plus un enfant. Certes, j’ai des souvenirs.

Les vrais enfants, ils sont dans un autre monde, une autre perception, un autre vécu ? En travaillant avec eux, tu as pris le role de l’adulte, de la réalisatrice? Où est-ce ton enfant intérieur qui est émergé ?

Alessia Chiesa : Il y a eu des deux, mais principalement j’étais l’adulte. Le fait qu’eux étaient des enfants m’a obligé à prendre le role de l’adulte, alors que peut être je ne le suis pas vraiment. J’ai découvert qu’ils attendaient un guide. Grace à ce processus j’ai pu grandir, reconnaitre que nous ne pouvons pas redevenir enfant. Là je suis une femme, je suis une réalisatrice, je suis en train de guider un projet. Tu n’est plus un enfant mais tu peux te connecter à eux parce qu’il y a encore un enfant en toi. Ils adoraient travailler comme ca.
Tes acteurs sont-ils des comédiens professionnels ?
Alessia Chiesa : Le pari était de faire le film avec les acteurs non professionnels. Les acteurs déjà comédiens peuvent venir avec un “chip”, alors que moi je cherchais cette nativité, de découvrir ce que c’est un film.
La nature prend une énorme place dans le film…
Alessia Chiesa : Pour moi la nature est le quatrième personnage du film. La nature contient cette absence qui les entoure. Elle peut être très gentille et très agréable, presque bucolique, et à la fois elle peut être très sombre, dangereuse. La nature est un personnage miroir pour les enfants. Oui, les enfants eux aussi, sont gentils si tout va bien, mais il y a aussi un coté sombre dont on parle rarement. Il y a la peur, la colère… Ces émotions ne sont pas mauvaises, juste plus sombres. Et la nature les met en évidence.
Le film se raconte comme un cycle qui commence avec la vie qui avance vers la mort…
Alessia Chiesa : Les éléments du film sont tellement universels. La nature représente le monde, la maison la société, car c’est une maison construite par les humains. Et les trois enfants comme un noyaux à l’intérieur. Quels sont leur liens de pouvoir? Quel est leur rapport avec la nature, avec ce cycle qui est la vie meme? C’est un film si minimaliste dans le scénario pour créer cet univers presque spirituel, comme les Chinois qui parlent du ciel et de la terre, le yin et le yang.
Propos recueillis à Berlin par Anna Paula Hönig

Retrouvez plus d’informations sur le film d’Alessia Chiesa, sur le site de la Berlinale.

 


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