Aujourd´hui

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Si on devait mourir demain…

Derniers jours, fin de parcours, fin de vie… Au propre comme au figuré, le cinéma aime à cadrer les derniers instants d’un personnage. La fin est certaine, donnée d’emblée, le film est donc un temps pris avec un corps avant qu’il ne disparaisse. Égrenant les minutes, le film est un moment partagé avec le spectateur avec générosité (d’Oncle Boonmee aux belles scènes sylvestres de la première partie d’Harry Potter et les reliques de la mort) ou violence (de Melancholia à Amour). Le troisième long métrage du franco-sénégalais Alain Gomis (après L’Afrance en 2001 et Andalucia en 2008) s’inscrit dans cette obsession de la fin que l’on observe tant dans le cinéma classique que contemporain. Il dépeint le dernier jour de Satché, promis à la mort. Pourquoi ? Rien n’est dit. Longtemps on l’envisage comme victime : un élu au nom d’un rite ancestral, sacrifice nécessaire pour l’apaisement des dieux et la survie du peuple. Il est ainsi célébré et traité avec égards par les voisins, et la douleur de ses proches se teinte de fierté. Mais il n’en est rien et la marche de Satché vers sa mort reste profane.

Souvent il est dit qu’avant de mourir, on voit défiler en esprit toute son existence. Satché ne la voit pas défiler en lui, mais au contraire défile en elle. Aujourd’hui est un parcours à travers Dakar et la vie du personnage : l’intime (la femme, la famille, les amis), le social (les autorités politiques et culturelles, la manifestation) et cultuelle (le rituel du lavement). Si sur le papier, le parcours paraît séduisant, sa réalité est moins convaincante. Saul Williams (chanteur et acteur qu’on avait découvert dans Slam de Marc Levin en 1998) est habité par son personnage, mais la caméra, elle, peine à trouver le ton de chaque scène. Étrangement, elle semble à l’écart, non pas dans un retrait pudique et respectueux à Satché, mais plutôt non à même de l’observer et le saisir avec la juste distance. Elle reste très en surface alors qu’elle se voudrait en phase avec lui. Ce qui est passage obligé dans le cheminement du personnage devient passage obligé, souvent laborieux, pour le film, qui loupe ainsi son cheminement émotionnel. À l’inverse de l’acteur, la mise en scène manque d’incarnation.

Le temps pris avec le personnage importe alors peu puisqu’on ne peut finalement le partager réellement. Satché attend la mort, nous on attend juste la fin, subissant de plus en plus les scènes à mesure que le scénario pénètre dans l’intimité du personnage : un moment pénible avec un ancien amour ou maîtresse, une ultime séquence de bonheur familial dont la sensualité n’est pas transcendée… Peu dialogué, le film est pourtant incroyablement bavard, plus dans la démonstration sentimentale que dans le ressenti réel. À plusieurs reprises, on pense au vidéaste américain Doug Aitken dont les installations montrent souvent un corps traversant les villes, un être en transit qui se confronte à ses rythmes et mouvements, champ d’énergie contre champ d’énergie. Cette rencontre entre un corps et son environnement ne se fait pas ici. Dommage car l’apparition de la ville en arrière-plan (de l’image comme du film), aussi succincte et intermittente soit-elle, est le plus saisissant d’Aujourd’hui. Dakar comme territoire multiple, en perpétuel changement, qu’on aimerait voir filmée par Jia Zhangke par exemple, grand filmeur des mutations urbaines. Malheureusement la sincérité du projet initial ne trouve pas, ou mal, le chemin jusqu’à l’écran.

Titre original : Aujourd'hui

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Durée : 98 mn


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