Attache-moi !

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Pedro Almodova croise son extravagance à un récit romantique sensible et déroutant.

Attache-moi ! voit Pedro Almodovar habilement croiser une approche plus sobre et dans le postulat l’excentricité intacte de ses premiers films. Son amour des marginaux s’exprime ici avec Ricky (Antonio Banderas), jeune homme ayant navigué entre maison de correction et asile psychiatrique qu’il s’apprête à quitter, enfin apte à la vie civile. Son désir le plus cher est de construire tout ce qui lui a manqué jusque-là, une vie de famille normale avec une femme et des enfants. Cependant sa personnalité et son rapport à l’autre se sont construits par des relations sexuelles fugaces au fil de ses fugues (ou avec la directrice de l’hôpital et les infirmières notamment) et sa quête de normalité va paradoxalement passer par des actes hors-normes. Bien conscient que son passif ne lui permettra pas de conquérir l’amour de sa vie de façon classique, il va forcer le destin.

Il s’agit de Marina (Victoria Abril) femme au parcours finalement aussi accidenté (ancienne actrice de porno et junkie) également en recherche de d’acceptation mais côté professionnel en tournant un film traditionnel. Lorsque Ricky va enlever et séquestrer Marina, la promiscuité va ainsi servir de révélateur pour tous les deux. La nature sordide du postulat est totalement désamorcée par la personnalité de Ricky et la prestation touchante d’Antonio Banderas. La situation est douteuse mais jamais son déroulement. Hormis la violence maladroite de la scène où Ricky s’introduit dans l’appartement, tous les contours possiblement scabreux sont désamorcés. Ricky force la promiscuité avec Marina dans le seul but d’éveiller les sentiments de celle-ci. Ainsi la dimension sexuelle est désamorcée avec une nudité furtivement exposée et avec gêne, tout comme l’absence de sensualité et/ou de fétichisme lorsque notre héros ligote son otage. Tout l’art d’Almodovar fonctionne sur le décalage. Ricky cherche à se faire aimer de la façon la plus folle qui soit, l’acceptation d’elle-même par Marina passe par un syndrome de Stockholm. La quête de Ricky s’oppose à la société espagnole exubérante de la Movida ou toutes les traditions devaient être bousculées. Visuellement cela se traduit par l’excentricité des environnements avec plateau de tournage déluré, mais aussi le décor luxuriant de l’appartement (le second qu’investissent les personnages sur le palier) chargé de couleurs, d’objet et de tableaux tapageurs.

Cet arrière-plan outrancier sert une situation toute en retenue masquant des sentiments aussi à vif. L’intimité forcée rend le rejet d’autant plus douloureux (Marina admonestant Ricky sur le fait qu’elle ne l’aimera jamais) mais laisse éclater l’amour de façon toujours inattendue. La retenue avec laquelle Ricky ligote sa prisonnière interpelle, tout comme la tendresse de Marina face à son geôlier vulnérable et blessé qu’elle va soigner. Le rapprochement se fait à la fois par des fêlures communes et par une complicité des corps que la promiscuité n’a non pas éveillée mais ravivée (puisqu’il s’avèrera que les deux ont déjà partagée une nuit par le passé. Ainsi délesté de codes moraux et romantiques classiques, Pedro Almodovar peut entériner la complexité de cet amour avec ce type de dialogues :

– Tu vas m’attendre ou tu vas t’enfuir ?

– Je ne sais pas. Mieux vaut m’attacher…

Magnifique réussite qui lancera la carrière d’Antonio Banderas à l’international.

Titre original : Átame!

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Durée : 111 mn


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