Arras Film Festival (6-15 novembre 2015), la suite

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Suite d’une compétition pour l’instant d’une grande qualité.

C’est dans un état de sidération que la direction du Festival d’Arras s’est réunie ce samedi matin tôt afin de décider d’arrêter ou pas le Festival en réaction aux actes de guerre qui ont été commis à Paris dans la soirée du vendredi 13 novembre. Décision a été prise – en accord avec la police locale et la Mairie – de continuer. Vers 10h30 avait lieu une réunion de crise à la Préfecture du Pas-de-Calais pouvant décider sine die de la fin des projections. A 13h30, le Festival continue. Parce que la vie doit continuer et vaincre. Et, en l’occurrence, aujourd’hui, pour nous, la vie c’est le cinéma.
Place au cinéma donc et à la compétition, ici à Arras, qui au bout du troisième jour s’avère être toujours de grande qualité, avec des films différents, tantôt intimistes tantôt historiques et politiques, même si l’intime et l’étude de caractères sont bien présents dans les longs métrages ayant pour cadre un épisode tragique de l’Histoire ou une réflexion sur un problème de société.

Comme dans The Culpable de l’Allemand Gerd Schneider dont c’est le premier film, et qui, fort courageusement s’empare du thème délicat des abus sexuels sur des enfants ou adolescents perpétrés par des prêtres. Jakob, aumônier de prison, voit sa vie basculer lorsqu’il apprend que son meilleur ami, prêtre lui aussi, est accusé d’actes pédophiles. Jakob, interprété par un Sebastian Blomberg magistral de bout en bout, ne cessera tout au long de l’action d’être hanté par l’accusation portée contre son ami. Il sera tenté au début de passer l’éponge – par amitié essentiellement. Mais, il ne cesse d’être harcelé par sa conscience, et sera d’autant plus perturbé qu’il ne peut s’empêcher de mener sa propre enquête pour découvrir rapidement que les faits reprochés à son camarade sont bien exacts. Le film ne prend pas pour cible l’institution catholique, il n’est pas à charge. Au contraire, The Culpable est tout en nuances. Nous voyons bien le cheminement intérieur de Jakob, sa lutte pour faire triompher le Bien. Et en le suivant dans son combat pour la vérité, nous constatons que les solutions comme passer l’éponge ou comme la proposition « jésuite » de la hiérarchie catholique de faire glisser l’affaire sous le tapis, ne peuvent pas être satisfaisantes. En cheminant avec Jacob, tout en entier ulcéré par les blessures qu’a infligé son ami à des mineurs, nous nous rendons compte de l’importance, in fine, du jugement de la justice des hommes pour tenter de réparer un crime, et qu’un « arrangement » ne peut pas suffire. Avec ce premier film, Schneider signe non seulement une œuvre courageuse mais aussi un film solide qui révéle toute la complexité d’un cas de conscience.

 

Dans un genre différent, moins grave, les Virgin Mountain de l’Islandais Dagur Kári et Thirst de la Bulgare Svetla Tsotsorkova sont aussi deux films séduisants, moins ambitieux que The Culpable, mais tout entiers portés vers l’intériorité de leurs héros, les choses de la vie, les blessures intimes. Virgin Mountain n’évoque pas un sommet inviolé mais le protagoniste du film, Fúsi, 43 ans, grand gaillard de 2 quintaux, toujours vierge à son âge. Virgin Mountain, c’est son histoire, son éclosion à une vie d’adulte et autonome par le miracle de l’amour. Virgin n’est pas une bluette pleine de bons sentiments. Au contraire, c’est un film sensible et réaliste qui n’épargne pas ses personnages mais dans lequel il y a une poésie subtile au détour de quelques plans, ici ou là… Dans Thirst, c’est une autre histoire qui nous est racontée mais une histoire tout aussi touchante. Nous sommes dans un coin perdu de la campagne bulgare. Il y a là un couple et leur fils et provisoirement un père et sa fille, venus forer la terre pour trouver une source. La cinéaste nous fait percevoir avec beaucoup de justesse la chaleur de l’été qui règne dans ce hameau perdu au milieu des collines. Les journées de labeur passent tout comme le désir qui affleure de temps en temps. L’ évocation du désir dans Thirst est comme celle de la violence : sourde, presque imperceptible…

Dans un autre genre encore, nous avons vu au aujourd’hui The Red Spider du polonais Marcin Koszalka. En vertu de l’admiration que nous avons pour le cinéma polonais et ses cinéastes, nous portions haut nos espoirs dans ce film…mais hélas, nous sommes un peu déçus même s’il faut bien le dire, le métrage en présence est malgré tout de bonne facture. Sans doute que le polar correspond mal à l’altitude à laquelle a l’habitude de se hisser l’Ecole polonaise mais il nous semble qu’une histoire de tueur en série lui va mal. Soulignons quand même une mise en scène et une atmosphère (Cracovie dans les années 60) réussies, grâce notamment à une photographie donnant une bonne idée de ce que pouvait être la grisaille urbaine de la Pologne communiste.

 

Mais de tous les longs métrages que nous avons déjà vus, un sort du lot : c’est le très beau Memories of The Wind du Turc Ozcan Alper. En 1943, Aram, intellectuel et arménien, fuit la répression des autorités turques qui ont fait allégeance à l’Allemagne nazie. Il trouve refuge dans la montagne, à la frontière avec l’URSS, chez un paysan et sa jeune épouse. Dans ce chalet environné d’une nature splendide, il va attendre le moment propice pour franchir la frontière. Il y aura dans cette attente, pour Aram, des moments de contemplation mais aussi de douleurs terribles comme ces fièvres qui le terrassent mais surtout des images traumatisantes de son enfance qui resurgissent souvent. Longtemps, on ne saisit ni les tenants ni les aboutissants de ce qui l’obsède, pourtant la vérité sur ce traumatisme va finalement nous apparaître – dans toute son horreur. On retrouve dans Memories, certains traits communs avec le chef d’œuvre de Nuri Bilge Ceylan, Winter Sleep (2013), même si ce dernier demeure évidemment un cran au dessus pour bien des raisons. D’abord, il y a la tragédie sous-jacente, retenue, souterraine, attendant calmement, longtemps, tapie dans l’ombre, son heure pour exploser soudain et brutalement. Il y a aussi dans l’un et l’autre film une place prépondérante consacrée à la nature, à sa beauté, à son immensité. Il y a aussi des climats en commun comme ces feux de cheminée qui crépitent, inoubliables dans Winter Sleep, plus discrets chez Alper. Un mot sur la très belle actrice (Sofyia Khandamirova) qui interprète la femme du paysan dont Aram va tomber amoureux, pour dire que Memories avec déjà toutes ses qualités lui doit beaucoup car, souvent silencieuse, sa beauté naturelle très russe et un peu démodée habite le film de toute sa lumière et aussi d’un érotisme paradoxal.

Nous rendrons compte de la suite et fin de la compétition dans les jours prochains.

Pour en savoir plus sur Arras Film Festival, rendez-vous sur le site officiel du festival.


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