Comme dans The Culpable de lAllemand Gerd Schneider dont cest le premier film, et qui, fort courageusement sempare du thème délicat des abus sexuels sur des enfants ou adolescents perpétrés par des prêtres. Jakob, aumônier de prison, voit sa vie basculer lorsquil apprend que son meilleur ami, prêtre lui aussi, est accusé dactes pédophiles. Jakob, interprété par un Sebastian Blomberg magistral de bout en bout, ne cessera tout au long de laction dêtre hanté par laccusation portée contre son ami. Il sera tenté au début de passer léponge – par amitié essentiellement. Mais, il ne cesse dêtre harcelé par sa conscience, et sera dautant plus perturbé quil ne peut sempêcher de mener sa propre enquête pour découvrir rapidement que les faits reprochés à son camarade sont bien exacts. Le film ne prend pas pour cible linstitution catholique, il nest pas à charge. Au contraire, The Culpable est tout en nuances. Nous voyons bien le cheminement intérieur de Jakob, sa lutte pour faire triompher le Bien. Et en le suivant dans son combat pour la vérité, nous constatons que les solutions comme passer léponge ou comme la proposition « jésuite » de la hiérarchie catholique de faire glisser laffaire sous le tapis, ne peuvent pas être satisfaisantes. En cheminant avec Jacob, tout en entier ulcéré par les blessures qua infligé son ami à des mineurs, nous nous rendons compte de limportance, in fine, du jugement de la justice des hommes pour tenter de réparer un crime, et quun « arrangement » ne peut pas suffire. Avec ce premier film, Schneider signe non seulement une uvre courageuse mais aussi un film solide qui révéle toute la complexité dun cas de conscience.
Dans un genre différent, moins grave, les Virgin Mountain de lIslandais Dagur Kári et Thirst de la Bulgare Svetla Tsotsorkova sont aussi deux films séduisants, moins ambitieux que The Culpable, mais tout entiers portés vers lintériorité de leurs héros, les choses de la vie, les blessures intimes. Virgin Mountain névoque pas un sommet inviolé mais le protagoniste du film, Fúsi, 43 ans, grand gaillard de 2 quintaux, toujours vierge à son âge. Virgin Mountain, cest son histoire, son éclosion à une vie dadulte et autonome par le miracle de lamour. Virgin nest pas une bluette pleine de bons sentiments. Au contraire, cest un film sensible et réaliste qui népargne pas ses personnages mais dans lequel il y a une poésie subtile au détour de quelques plans, ici ou là Dans Thirst, cest une autre histoire qui nous est racontée mais une histoire tout aussi touchante. Nous sommes dans un coin perdu de la campagne bulgare. Il y a là un couple et leur fils et provisoirement un père et sa fille, venus forer la terre pour trouver une source. La cinéaste nous fait percevoir avec beaucoup de justesse la chaleur de lété qui règne dans ce hameau perdu au milieu des collines. Les journées de labeur passent tout comme le désir qui affleure de temps en temps. L évocation du désir dans Thirst est comme celle de la violence : sourde, presque imperceptible
Dans un autre genre encore, nous avons vu au aujourdhui The Red Spider du polonais Marcin Koszalka. En vertu de ladmiration que nous avons pour le cinéma polonais et ses cinéastes, nous portions haut nos espoirs dans ce film mais hélas, nous sommes un peu déçus même sil faut bien le dire, le métrage en présence est malgré tout de bonne facture. Sans doute que le polar correspond mal à laltitude à laquelle a lhabitude de se hisser lEcole polonaise mais il nous semble quune histoire de tueur en série lui va mal. Soulignons quand même une mise en scène et une atmosphère (Cracovie dans les années 60) réussies, grâce notamment à une photographie donnant une bonne idée de ce que pouvait être la grisaille urbaine de la Pologne communiste.
Mais de tous les longs métrages que nous avons déjà vus, un sort du lot : cest le très beau Memories of The Wind du Turc Ozcan Alper. En 1943, Aram, intellectuel et arménien, fuit la répression des autorités turques qui ont fait allégeance à lAllemagne nazie. Il trouve refuge dans la montagne, à la frontière avec lURSS, chez un paysan et sa jeune épouse. Dans ce chalet environné dune nature splendide, il va attendre le moment propice pour franchir la frontière. Il y aura dans cette attente, pour Aram, des moments de contemplation mais aussi de douleurs terribles comme ces fièvres qui le terrassent mais surtout des images traumatisantes de son enfance qui resurgissent souvent. Longtemps, on ne saisit ni les tenants ni les aboutissants de ce qui lobsède, pourtant la vérité sur ce traumatisme va finalement nous apparaître – dans toute son horreur. On retrouve dans Memories, certains traits communs avec le chef duvre de Nuri Bilge Ceylan, Winter Sleep (2013), même si ce dernier demeure évidemment un cran au dessus pour bien des raisons. Dabord, il y a la tragédie sous-jacente, retenue, souterraine, attendant calmement, longtemps, tapie dans lombre, son heure pour exploser soudain et brutalement. Il y a aussi dans lun et lautre film une place prépondérante consacrée à la nature, à sa beauté, à son immensité. Il y a aussi des climats en commun comme ces feux de cheminée qui crépitent, inoubliables dans Winter Sleep, plus discrets chez Alper. Un mot sur la très belle actrice (Sofyia Khandamirova) qui interprète la femme du paysan dont Aram va tomber amoureux, pour dire que Memories avec déjà toutes ses qualités lui doit beaucoup car, souvent silencieuse, sa beauté naturelle très russe et un peu démodée habite le film de toute sa lumière et aussi dun érotisme paradoxal.
Nous rendrons compte de la suite et fin de la compétition dans les jours prochains.
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