Africamania à la Cinémathèque

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Le cinéma africain est à l´honneur à la Cinémathèque. L´occasion de revenir sur un cinéma jeune et vivace marqué par une conscience politique puissante. Un cinéma interrogatif.

Belle initiative que celle de la cinémathèque (re?)mettant le cinéma africain au cœur du débat. Du 17 janvier au 18 mars 2008, réalisateurs africains et spécialistes viendront débattre de l’état du paysage cinématographique de ce continent tandis que des projections remettront au goût du jour ce cinéma engagé. Le lundi 18 février à 20h, par exemple, la cinémathèque projettera La Noire de…, l’un des chefs-d’œuvre d’Ousmane Sembene et pour que la fête soit complète, Ray Lema gratifiera le public d’un concert exceptionnel.

Outre la diffusion de grands classiques trop souvent oubliés, trois grands rendez-vous jalonneront cette rétrospective :

La Table ronde 1 sur « les histoires du cinéma africain, des années 60 à nos jours ». Samedi 26 janvier 2008, 14h30.

50 ans. C’est l’âge que l’on donne au cinéma africain. Un cinéma sur l’Afrique fait par les Africains délivrés des chaînes de l’asservissement colonial. La vampirisation du continent survit dans ces stigmates faits dans la terre et laissés dans le cœur des hommes. Mais son souvenir persiste aussi à travers les bandes de cinéastes militants.

En 1955, Paulin Vieyra et Mamadou Sarr posent la première pierre d’un espace cinématographique certes chancelant mais proprement africain. Afrique-sur-Seine, moyen-métrage de 21 minutes, marque le début d’une production par les Africains, même si le lieu de tournage s’avère être Paris faute d’autorisation pour tourner en Afrique.

Car le continent africain constituait déjà depuis de nombreuses années une matière cinématographique à part entière, filmée et mise en scène. Cependant toute production servait à affirmer la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir et les mérites de la colonisation (on pense notamment à la Croisière Noire de Léon Poirier) et de sa mission civilisatrice. Un cinéma de la condescendance sur l’Afrique.

Ousmane Sembene (1923-2007) fut le premier à secouer l’Afrique pour la faire sortir de cette torpeur visuelle. Charismatique, rebelle, autodidacte, il représente, encore aujourd’hui après sa mort, l’incarnation d’un cinéma africain puissant, évocateur et combattif. Comme il le disait fort justement : « Faire un film en Afrique est toujours un acte politique ». Il faut rassembler des trésors de patience et de pugnacité pour lutter contre une censure méthodique, des circuits de distribution et de financement gangrénés et l’apathie de gouvernements peu enclins à aider les velléités artistiques.

Sa première réalisation Borom Sarret (le « bonhomme charrette », 1963) constitue le premier film afro-africain, c’est-à-dire tourné par un Africain en Afrique. Ce film de 19 minutes est une incursion dans la vie d’un conducteur de charrette et surtout dans la pauvreté dakaroise. Un cinéma politique tout autant qu’une conscience délivrée des chaînes de la censure commençait à bourgeonner et ne tarderait pas à fleurir aussi majestueusement que la flore luxuriante d’Afrique. Avec la Noire de… (1966), son premier long métrage, l’écrivain-cinéaste nous plonge dans une forme d’esclavagisme larvée de la part d’un couple d’expatriés français à l’encontre d’une jeune Sénégalaise qui la conduira au suicide. Comme une allégorie des abus de l’ancienne puissance coloniale qui ont mis de nombreux pays au supplice. A aucun moment les personnages mis en scène ne vivent. Au mieux ils survivent dans un espace mouvant, en manque de repères. Le Mandat (1968) poursuit le filon en relevant les excès d’un Etat népotique en phase de reconstruction et toujours sous le joug économique français. Une phrase représente le personnage dans son éclat le plus estimable : « Ce que je reproche aux Occidentaux comme je le reproche aux africanistes, c’est de nous regarder comme des insectes ».

Un autre cinéaste a porté à bout de bras les espoirs cinématographiques d’un continent : Djibril Diop Mambéty. Elisabeth Lequeret, qui sera présente lors de cette première table ronde, remarque à propos de Touki Bouki (Le cinéma africain. Un continent à la recherche de son propre regard) : « Touki Bouki est le premier film qui, construisant un complexe et chatoyant paysage spatio-temporel où se mêlent présent et futur, réalité et fantasme, ici (Dakar) et ailleurs (Paname), inventant des transitions d’une force, d’une brutalité, d’une beauté à couper le souffle, fait entrer le cinéma africain dans l’âge de la rupture et du chaos, du clivage, physique autant que mental ».

Les tableaux sociaux écorchés sont les principales matières de Souleymane Cissé qui devrait être présent lors de la 1ère table ronde. Avec Den Muso (1974), Baara (1978), Finyè (1982), Yeelen (1987) ou Waati (1995), il s’impose comme le chef de file d’une deuxième génération de cinéastes africains. Yeelen symbolise ce cinéma du combat, ce rapport à une altérité fondatrice, dont la reconnaissance officielle vint sous la forme du Prix du Jury au festival de Cannes en 1987.

Dans un continent noir en reconquête de lui-même (comme l’écrit Gaston Kaboré : « Nos films constituent des petits fragments de reconquête de nous-mêmes et de la mémoire »), le rapport à l’autre est toujours primordial. Idrissa Ouedraogo et son sensoriel Yaaba (1989) malaxe, retourne, pétrit une matière faite d’affects. Une vielle femme soupçonnée de sorcellerie constitue la victime émissaire et libère les tensions latentes de toute une tribu en cristallisant la haine et la méfiance. L’initiative d’un jeune garçon, Bila, bravant le danger pour lui offrir une poule, sera l’occasion pour les deux d’une révélation suprême, celle de l’autre.

L’Afrique n’a pas connu une myriade de réalisateurs : Ousmane Sembene, Med Hondo, Cheick Oumar Sissoko, Souleymane Cissé, Gaston Kaboré, Pierre Yameogo, Idrissa Ouedraogo, Djibril Diop Mambéty, Alain Gomis, Gahité Fofana, Mahamet-Saleh Haroub, Abderrahmane Sissako, Désiré Ecaré… Mais que ce cinéma est riche, beau et conscient. Un cinéma de l’oralité dont il faut parler.

Leçon de cinéma : « Kaboré par Kaboré ». Samedi 15 février 2008, 15h30.

Cette rencontre sera l’occasion de revenir sur le travail de mise en scène du réalisateur de Wend Kûuni (1982) et Buud Yam (1997).

Table ronde 2 « Et aujourd’hui, quelle création ? ». Vendredi 15 février 2008, 18h.

Force est de constater aujourd’hui encore que la production africaine reste tributaire des aides extérieures. Si elle a accédé à la reconnaissance internationale, elle pâtit d’une désorganisation (il faudrait plutôt parler d’absence d’organisation ou d’anarchie structurelle) des circuits situés en amont (financement) et en aval (distribution), tandis que la vidéo s’avère être un échappatoire convenu. Les films africains sont ainsi peu distribués sur le territoire et les festivals internationaux nord-américains, français tout autant que des chaînes telles que Arte (qui a diffusé il y a peu Ezra de Newton I. Aduaka qui sera projeté à la cinémathèque dans le cadre d’Africamania) ou Channel Four constituent leurs principaux canaux de diffusion. Alors depuis 1990, les spécialistes du cinéma africain s’accordent à dire que celui-ci n’est plus qu’un spectre insaisissable. Kini et Adams (1993) d’Idrissa Ouedraogo reste ainsi le dernier film africain en compétition officielle au festival de Cannes. Alors où es-tu passé, cinéma d’Afrique ? Vent de fraîcheur dans l’aridité des paysages que tu mets en scène ?

Pour retrouver la programmation complète de ce cycle sur le site de la cinémathèque française.


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