Un bébé hurle, longtemps. Premiers plans : un préposé est là pour surveiller le sommeil des enfants grâce à une console dont les voyants s’allument de temps en temps. Nous sommes dans la pouponnière d’un kibboutz (« village » en hébreu) dans les années 70, au sud d’Israël. Égalitaires, socialistes, totalitaires même dans le sens où l’individu est soumis à l’ordre général, ces collectivités, du moins à leur origine, édictaient à leurs membres des règles strictes de vie, dont notamment la garde en commun des enfants, laissant les parents entièrement dévoués à la vie du groupe.
Dror Shawl, le réalisteur du film, n’aurait pu s’y prendre autrement pour poser les jalons d’une critique de ces villages communautaires, qui occupent une place fondamentale dans l’histoire d’Israël, viviers des élites laïques du pays. Shawl lui-même est né dans un kibboutz. Mais au-delà de la critique de la dérive de cette organisation, du dévoiement de son idéal originel d’égalité, le sujet premier d’Adama est l’histoire d’une jeune femme dépressive, seule, mise à l’écart pour finalement être détruite, engloutie par une communauté, bloc compact et dur qui a oublié de secourir son prochain.
Shawl explique : « En tant qu’enfant né et ayant grandi dans un kibboutz, mon film confronte la mémoire collective des kibboutz à ma propre expérience, ma propre vision, un monde ou les gens ont oublié l’idéologie originelle et satisfont leurs propres besoins avant de s’occuper des plus faibles. » Au delà de la simple histoire qu’il relate, c’est bel et bien sa propre expérience que le cinéaste israélien couche sur pellicule, par le truchement du petit Tomer Steinhof, 12 ans et visage d’ange. En effet, Dror Shawl, comme son acteur, a été très jeune orphelin de père puis s’est occupé de sa mère. Cette proximité entre l’auteur et le « héros » du film confère à Adama mon kibboutz une charge émotionnelle, une intensité marquante et présente du début à la fin.
La victime, celle que le groupe engloutit, néglige et délaisse, c’est Miri (Ronit Yudkevitz), jolie jeune femme, mère de deux garçons et veuve. Stephan, homme bon et accessoirement ancien champion de judo suisse arrive au kibboutz. C’est le bonheur retrouvé jusqu’à ce qu’un incident survienne et que Stephan soit expulsé du village.
Miri ne peut suivre Stephan. Pétrifiée, sans réaction face à ce nouveau coup dur, la mère de Dvir laisse partir son amant et n’envisage pas un seul instant de quitter le lieu de ses souffrances passées pour vivre une autre vie. À cet instant, Shawl montre la puissance d’inhibition que peut avoir un groupe, une collectivité, une organisation sur un individu. Miri reste au kibboutz alors qu’elle pourrait s’enfuir. Le malheur doit tracer sa route, aller jusqu’au bout du processus de destruction.
Dès lors, Miri sombre dans la dépression, la folie la guette. Son dernier fils, Dvir, veille sur elle. Dvir est le héros du film. Jusqu’au bout il tentera de sauver sa mère qui sombre dans la folie, comme s’il était le seul à voir qu’elle se noie. Certaines scènes de dialogues entre ce petit homme et sa maman sont très émouvantes. Les rapports parentaux sont comme inversés, mais restent d’une extrême douceur. Lorsque le garçon rédige une petite annonce en vue de rechercher un ami pour sa maman, Miri est là, il la consulte. C’est drôle et touchant. Dvir planifie la fuite car Stephan a envoyé des billets d’avion. Ce sera juste après sa bar-mitsva, la cérémonie du feu.
Autant le dire, Adama, mon Kibboutz est un très beau film. Un document instructif sur ces villages communautaires, mais on retiendra par-dessus tout, grâce à la performance et la justesse du jeune Tomer Steinhof, l’émotion qui se dégage de certaines scènes et de la beauté de certains plans.