Absent

Article écrit par

Éloge de l´inattendu, dans tous les sens du terme, la deuxième réalisation de Marco Berger est un film couillu.

On avait aimé l’an passé le beau Plan B, premier long métrage de l’Argentin Marco Berger. Le réalisateur déjouait finement les codes de la comédie romantique pour en offrir une vision plus trouble. Paradoxalement, ce déplacement le ramenait aux sources du genre : l’émotion sincère et l’acceptation des sentiments. Si le film était une réussite, on pouvait s’inquiéter de voir Berger s’enfermer dans la case un peu trop restrictive du queer movie. S’il confirme en partie cette orientation avec Absent (il a d’ailleurs reçu le Teddy Award à la dernière Berlinale), il démontre surtout que ses ambitions et son talent ne sauraient se limiter à cette seule identification.

Le réalisateur poursuit avec Absent son détournement des genres en passant le thriller à la moulinette. Les codes étant plus spécifiques, le choix n’en est que plus risqué. Si le sexe et la violence sont souvent au cœur du genre (Basic Instinct de Paul Verhoeven en était la cristallisation il y a une vingtaine d’années), Berger évacue entièrement la pulsion criminelle pour se concentrer sur ce qui semble être sa grande affaire : la naissance et la mise en scène du désir. En termes d’intrigue, Absent semble plutôt éloigné du thriller pour se rapprocher de la comédie dramatique ou de mœurs : le jeune Martin est très attiré par l’un de ses professeurs et fait tout pour se faire inviter chez lui le temps d’une nuit, dans l’espoir d’arriver à le troubler. Le film avance ainsi entre spectre du détournement de mineur et désirs inavoués.
 

Loin d’être une contradiction, la rencontre avec un genre qui lui semble étranger ne fait ici que renforcer l’histoire. Au lieu d’en être le décorum, les codes du thriller deviennent la matière même du film. Les purs effets de genre ne sont ainsi plus le relai d’une violence affichée – souvent très artificielle d’ailleurs – mais le contrepoint des situations à même de révéler la tension interne des personnages. Espaces confinés, cadrages serrés, sur-présence musicale, fugacité des silhouettes… n’alimentent plus l’angoisse, chez les personnages ou le spectateur, et le suspense ne s’attache plus à la réalisation exutoire d’un crime, mais à la révélation et l’assouvissement du désir.

« Je ne sais pas si ce livre m’a plu. L’histoire est bonne mais ça part un peu dans tous les sens. Ca ne raconte pas ce que je voudrais. »

Cette phrase prononcée par l’un des personnages secondaires est symptomatique du film : Absent n’est jamais là où on l’attend. Flirtant avec le thriller, il l’évide de sa dimension criminelle et, jouant avec le désir, il tue celui-ci dans l’œuf. Marco Berger refuse les voies toutes tracées pour dessiner ses propres itinéraires. A ce titre, il évite d’ailleurs avec une aisance déconcertante des facilités scénaristiques pourtant tout à fait acceptables. De la même manière que dans Plan B, le réalisateur montre un talent rare pour installer des situations et mettre en image des sentiments. Ses films semblent définir un temps pris avec les personnages : les scènes sont souvent longues dans un cadre peu mobile à même de laisser émerger à l’écran des changements subtils, des variations d’attitudes, des croisements de regards… Autant d’éléments que seules l’observation et l’installation dans la durée peuvent faire naître.
 

Plus encore, c’est la mise en scène du corps masculin comme pur objet de désir, voire objet sexuel qui marque à la vision d’Absent. Le corps est observé, détaillé, morcelé à la manière de la séquence de visite médicale qui ouvre le film. A la piscine, dans les vestiaires, sous la douche, endormi, le corps s’offre, jamais gratuitement puisqu’il est toujours épié par l’un des personnages. La notion de voyeurisme liée à la nudité est directement intégrée au récit. La mise en scène du corps masculin comme objet de désir ne devrait être en rien une surprise, elle reste pourtant chose relativement rare au cinéma. Là où la femme est chosifiée à longueur de films depuis des décennies (1), l’objétisation sexuelle de l’homme reste encore un quasi tabou pour le cinéma. Il n’y a guère, dans le cinéma mainstream, que le toy boy Aston Kutcher ou surtout, et peut-être plus sciemment encore, Bradley Cooper qui s’offrent comme de purs objets, une pure plastique à contempler – et à déshabiller ne serait-ce que le temps d’un plan, quel que soit le film –, là où la carrière d’innombrables actrices est construite sur cette simple évidence. Marco Berger s’attaque sciemment à cette convention en la détournant et, loin d’être une simple base décorative aguicheuse, le corps devient le moteur même du film.

Dommage alors qu’Absent ne tienne complètement ses promesses. Si le virage narratif de la seconde partie est négocié avec brio et la répétition inversée des scènes – procédé au combien casse-gueule – finement menée, son finale est largement biaisé par des choix musicaux en rupture totale avec le ton du film. En lieu et place de la douceur et de la mélancolie sans doute souhaitée par le réalisateur, c’est au contraire un affadissement, voire une discréditation qu’ils apportent à Absent. Reste que, délibérément en marge de la nouvelle vague argentine (Pablo Trapero, Lisandro Alonso, Lucrecia Martel…), Marco Berger confirme avec sa seconde réalisation un réel talent de construction et de transcription des situations, une volonté de partager un temps avec les personnages à l’opposé de toute démonstration outrancière de puissance et d’efficacité. Un talent qu’il faudra sans doute suivre de près.

(1) Les films de Michael Bay, entre autres, en sont un bon exemple. Dans Transformers 3, malgré un statut social élevé, l’héroïne ne dépasse pas le cadre d’ombre de personnage tout juste bonne à courir derrière le héros en offrant à la caméra ses formes rebondies. Sa première apparition à l’écran est symptomatique de ce qu’on peut attendre d’une femme dans ce type de cinéma : en culotte, portant à moitié boutonnée la chemise de son homme et un gros lapin en peluche dans les bras.
 

Titre original : Ausente

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre :

Durée : 97 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi