A l’âge d’Ellen

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Questionnement doux-amer sur les choix de vie, Jeanne Balibar parle allemand.

Elle a passé toute sa vie en l’air, littéralement. Ellen a quarante ans, ou presque, ou un peu plus ; elle est hôtesse de l’air. Quand son copain, qu’elle voit peu, lui annonce que sa maîtresse attend un enfant, Ellen plaque tout, plante les passagers de l’avion, s’enfuit sur le tarmac, prend le premier taxi qui passe. Voilà le postulat de départ d’un petit film allemand comme on les aime bien, doux et un peu insignifiant, moins fragile à mesure que ses intentions s’annoncent. Car Ellen a quarante ans et le film, justement, s’appelle A l’âge d’Ellen. Ce pourrait n’être qu’un point de détail, mais le deuxième film de Pia Marais (après Trop libre, en 2007) ne parle quasiment que de ça. L’argument n’est pas neuf : les crises existentielles, celles de la quarantaine, sont au centre de bon nombre de ce qu’on nomme comédies dramatiques. Mais il y a ici une langueur, une sorte de dégoût de ce qu’est devenu la vie, qu’on ne voit pas souvent ailleurs et qui touche plutôt juste.

Jeanne Balibar n’y est pas pour rien, évidemment. Dans un allemand parfait, elle joue à merveille la femme désabusée qui se demande où a bien pu passer sa vie. Encore une fois, le propos n’est pas d’une originalité folle ; mais il faut la voir déambuler dans une chambre d’hôtel qu’elle croit vide, courir derrière un taxi dans lequel elle a oublié sa valise – tout ce qui lui reste. Et se greffe, au milieu du film, à un groupe de jeunes militants des droits des animaux carrément fâchés avec le secteur de l’agroalimentaire. C’est à ce moment-là qu’A l’âge d’Ellen décolle. Pia Marais montre un certain talent à illustrer le glissement progressif d’un état à un autre, ou comment une rupture radicale entraîne une perte de repères qui mène vers des choix de vie qui passent pour incongrus, même à nos propres yeux. C’est là que le film est le plus fort, quand il souligne le décalage entre les envies d’ailleurs et l’ailleurs que l’on rencontre. On sait gré à la réalisatrice de ne pas caresser son spectateur dans le sens du poil : une humiliation par une supérieure hiérarchique ou une soirée qui finit en orgie triste et grotesque donnent toute la mesure du désarroi d’Ellen, et font naître un vrai malaise.

Mais c’est bien l’âge d’Ellen qui fait ici point de césure : l’attirance d’Ellen pour le groupe d’activistes disparaît bien vite quand, une fois intronisée et embarquée dans une amourette avec le chef de bande, elle s’aperçoit que leurs revendications ne la concernent pas. Qu’elle ne trouvera pas là son salut, pas avec eux, pas maintenant. Parce que le militantisme est, pour elle, affaire de jeunesse ; parce que, arrivée à ce stade de sa vie, elle a passé l’âge. Y aurait-il un âge pour tout ? C’est le (triste) constat que semble dresser Pia Marais, avant que son film ne prenne encore un dernier virage inattendu. Quelques minutes avant la fin, c’est en Afrique sub-saharienne que l’on retrouve Ellen, quelque part au fond de la brousse à organiser la lutte contre les braconniers. Rien que pour ça, pour Jeanne Balibar qui promène sa candeur en jeep le long de routes en terre, le film vaut le détour. Et rappelle que l’on attend toujours que quelqu’un lui donne un vrai premier rôle.

Titre original : Im Alter von Ellen

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Durée : 95 mn


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