8th Wonderland

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Couvert de Prix (du public notamment) de par le monde, utopiste, poétique et naïf : bienvenue à « 8th Wonderland », le premier web-pays ouvert à tous.

Faisons fi de l’affiche (moche), du plan com (raté), voire de la biographie des auteurs (comment ça personne ne la connaît ?), 8th Wonderland vaut le détour. Peut-être pas un immense film, mais dans cette période où le romantisme est soit mort soit apparenté à du cynisme, et où la naïveté poétique n’a plus sa place, toute création qui place l’activisme politique au service d’une utopie du vivre ensemble mérite toute notre attention.
 
A l’âge où le village global décrit par Marshall McLuhan il y a quarante ans (1) s’incarne de manière radicale avec Internet, chaque être humain raccordé au réseau est à portée de l’autre et partage donc un espace commun virtuel. Dès lors, il est permis de se demander quelle est la validité des frontières géopolitiques. Tel est le point de départ de 8th Wonderland, site internet ou plutôt réseau social international regroupant de plus en plus de citoyens déçus : de leurs gouvernements, de leurs pays, de l’état du monde en général. Une sorte de Facebook utile en quelque sorte. Prônant fraternité et entraide par-delà les frontières, 8th Wonderland se veut un moyen d’action influant sur la politique mondiale. Force souterraine, telle la métaphore juste, mais lourdingue, des cafards en début et fin de film, ses membres s’illustrent par un activisme naïf face aux grands problèmes contemporains : position de l’Eglise sur le préservatif, peine de mort aux USA (avec une séquence hilarante autour de la dinde annuellement graciée au moment de Thanksgiving par le président américain)… 8th Wonderland apparaît d’abord aux yeux du monde comme une bande de joyeux farceurs au militantisme poétique dérangeant mais pas dangereux. La réussite de leurs entreprises et l’augmentation constante du nombre de membres/citoyens forcera 8th Wonderland à s’instituer comme le premier pays virtuel et donc à une confrontation avec les puissants Etats de ce monde.
 
Outre la mise en scènes des actions de la nouvelle nation, plutôt comiques et porteuses d’espoir, puis de plus en plus violentes et moralement discutables, le défi du film est la représentation d’un espace social virtuel. Comment donner une représentation à ce qui, par définition, n’en a pas? Epicentre de l’utopie, la cité idéale n’est plus dessinée par un architecte mais mise en place par un développeur-infographiste, administrée par un webmaster, invisible dans une architecture incarnée dans la fibre optique. Plutôt qu’un échange entre citoyens par écrans interposés, qui renforcerait l’isolement (pourtant réel) des membres, les réalisateurs Nicolas Alberny et Jean Mach nous font pénétrer dans une vision fantasmée au cœur de la toile. Le 8th Wonderland se matérialise au sein d’un immense espace blanc envahi d’une pluie d’écrans bidimensionnels flottant et mimant une salle circulaire de réunion, lointain écho d’une matrice qui dix ans plus tard n’en finit pas de fasciner.
 
8th Wonderland se veut aussi le reflet d’une démocratie participative et de ses limites. Le principe est simple : chaque semaine une motion et son vote par référendum. Au-delà des limites inhérentes au très contemporain « j’aime/j’aime pas » de la culture web, le film revient sur les fondements moraux de toute nation. Les actions de 8th Wonderland s’initiant souvent dans l’illégalité, la recherche d’une ampleur plus grande dans leur politique l’oblige à se poser des dilemmes moraux, les mêmes par exemple que ceux déjà posés dans l’excellent Watchmen de Zack Snyders (2009) : agir amoralement pour améliorer une situation ou laisser le monde se dégrader jusqu’à sa perte.
 
Il y a quelque chose de profondément humaniste dans 8th Wonderland qui, s’il ne nie pas les dérives potentielles à toute utopie, ne fait pas un constat fondamentalement négatif sur l’homme, en atteste la fin du film entre coup marketing banal et logique indéniable de l’histoire. Dans un monde fréquemment taxé d’immobilisme, Alberny et Mach proposent une alternative : folle, enthousiaste, irréalisable, lyrique… Une alternative qui excède les confortables sièges de nos salles obscures ou de nos salons personnels, puisque depuis deux ans 8th Wonderland existe réellement (www.8thwonderland.com), malhabilement et peut-être malheureusement sans portée. Mais plus important que leurs éventuelles erreurs d’appréciations ou maladresses, Alberny et Mach réaffirment une idée puissante, folle, irréalisable… La croyance en la puissance du cinéma pour changer le monde et influer sur lui. 8th Wonderland se veut un appel aux consciences et à l’action commune et peut s’inscrire comme un voisin universel de la beauté d’une Björk ou d’un Douglas Coupland (2) :
 
« Ciselez des questions sur les vitres des photocopieuses. Gravez des défis sur de vieilles pièces détachées de bagnole et balancez-les par-dessus les ponts pour que les générations futures les sortent de la boue et questionnent aussi l’univers. Sculptez des yeux dans vos pneus et les semelles de vos chaussures, pour que même la trace de vos déplacements soit un appel à la réflexion, au débat et à la vigilance. Créez des molécules que se cristallisent en points d’interrogation. Truquez les codes barres pour qu’ils affichent des fables et non des prix. Vous ne pourrez pas jeter le moindre lambeau de papier sans qu’il ne porte une question, sans qu’il ne demande aux gens d’atteindre un meilleur endroit. »
 

(1) Marshall McLuhan in Pour comprendre les médias, 1ère publication, 1964, Paris : Seuil, 1968.
(2) Douglas Coupland in Girlfriend dans le coma, 1ère publication, 1998, Paris : 10/18, 2005.

Titre original : 8th Wonderland

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Durée : 94 mn


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